L’été avait commencé par la prédiction d’un effondrement rapide du pouvoir : un échec électoral, une grande réforme manquée, des mouvements de rue qu’accompagnaient les coups de boutoir de l’opposition en composaient les signes annonciateurs. La fin des vacances a pourtant coïncidé avec un changement de ton. De meilleurs indices économiques venant modérer les ardeurs critiques, les décisions du Président dans l’affaire tchadienne suscitant un accord tacite, beaucoup se plaisaient à annoncer une rentrée plus paisible que prévue.
Sans doute cet apaisement se serait-il effectué sur fond d’orages extérieurs mais, du moins, aurait-il permis que les grands débats sur la stratégie économique et sur le changement social se déroulent dans un climat plus serein. Peut-être se serait-on enfin aperçu que les véritables confrontations ne recouvrent pas forcément les frontières politiciennes et que certaines attitudes dogmatiques, à droite comme à gauche, sont désormais dénuées de sens… Un grand pas eut été fait si, au consensus sur la politique étrangère, s’était ajouté un débat dépassionné sur les moyens de surmonter les difficultés économiques et la crise de la société française.
LA PEUR DE L’AUTRE
Les résultats du premier tour de l’élection municipale de Dreux sont malheureusement venus nous rappeler une dure réalité. Comme le montre le comte de Paris dans sa « Lettre aux Français, », le monde moderne n’a pas purgé la société de sa violence. Au contraire, la crise économique fait ressurgir d’anciennes peurs, et permet que se déclenchent à nouveau des mécanismes trop connus. Quand des « lois » économiques abstraites, que personne ne sait commander, viennent provoquer des bouleversements dont nul ne se dit responsable, il peut être tentant de chercher malgré tout des « coupables » et de donner au malheur des noms et des visages. Manifestement différents, et en même temps très proches, les immigrés représentent des victimes toutes désignées. La droite s’honorerait en brisant cette logique qui entraîne une partie de l’électorat populaire ou, du moins, en isolant les démagogues froids de l’extrême-droite. Tel n’est pas le cas à Dreux. Telle n’est pas l’opinion dominante dans les partis de l’opposition.
Ce consentement à la xénophobie est un mauvais signe, qui dépasse les enjeux électoraux. Pour une communauté, la fermeture aux autres signifie le refus de la vitalité et de l’enrichissement social, moral et culturel, plus encore qu’économique. Une politique audacieuse de l’immigration – encore trop faiblement esquissée par le gouvernement et « compensée » par des mesures de refoulement en partie illusoires – n’est pas seulement affaire de générosité : cette politique signifierait que nous pouvons encore surmonter nos peurs irrationnelles, que nous sommes encore en mesure de créer de nouvelles solidarités, de nouer de nouvelles amitiés. Que serait notre nation si elle n’était plus capable de cela, et que deviendrions-nous si son existence se réduisait aux classiques affrontements partisans et au choc des égoïsmes corporatifs ?
NOTRE EXISTENCE EN QUESTION
Telle est bien l’ultime question que le comte de Paris pose aux Français dans la « Lettre » qu’il leur a adressée. Si la France devient une société égoïste, divisée contre elle-même, si elle oublie son passé (qui est celui de la diversité culturelle et linguistique), si elle perd le sens du projet à entreprendre, peut-on encore parler de communauté vivante et, dans ces conditions, à quoi bon l’Etat ?
Il est vrai qu’un consensus momentané peut se recréer – on l’a vu cet été – qu’un élan peut se manifester. Il suffit hélas de quelques jours ou de quelques semaines pour les voir disparaître ou retomber. La décennie écoulée confirme malheureusement l’analyse du Prince : bâtie sur les décombres de la société ancienne, qu’il a achevé de ruiner, le système de croissance forte s’est à son tour détraqué, livrant l’économie aux chocs que l’on sait. Incertains de notre avenir matériel, nous voici en outre privés de perspectives politiques et confrontés à l’effondrement des anciennes idéologies. Incapable de mettre en œuvre un projet de société, la gauche est maintenant privée de ses doctrines, de ses modèles et de ses mythes, et la seule « alternative » est représentée par un mouvement de retour du balancier politique, qui porterait au pouvoir une droite plus ou moins xénophobe, ouvertement conservatrice, théoriquement libérale. Comme les immigrés ne sont pas responsables de la crise économique, comme le conservatisme est illusoire dans une société bouleversée, comme le libéralisme a fait la preuve de sa brutalité, on devine déjà les déceptions et les révoltes qu’engendrerait une telle réaction.
La réflexion du comte de Paris n’en est que plus décisive. Par-delà nos affrontements, se gardant de tout programme, il nous dit la raison d’être, toute simple, du pouvoir politique et le secret de l’existence d’une nation. Pour exister, dans la liberté et la solidarité, la France a besoin d’un pouvoir en qui elle puisse se reconnaître. Pour que ce pouvoir soit celui de tous les Français, il faut qu’il soit capable d’incarner leur projet millénaire, de le prolonger dans l’avenir et de répondre, ici et maintenant, aux exigences fondamentales de justice et de liberté. C’est à cette condition, celle de la légitimité, que la France a chance de vivre à nouveau pleinement sans avoir besoin, pour se rassurer, de faire la chasse aux étrangers.
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Editorial du numéro 387 de « Royaliste » – 14 septembre 1983
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