Les gouvernements qui consentent à des abandons de souveraineté sont condamnés à attendre les décisions prises dans d’autres capitales. C’est le cas de l’équipe Bayrou qui attend de surcroît le moment où elle sera congédiée. De toutes manières, on continuera à expédier les affaires courantes.

Le mode de gouvernance oligarchique tente de nous faire partager une nouvelle manière de concevoir le rythme de l’action politique. Nous assistons à une surenchère activiste qui donne l’illusion d’une accélération du temps. La multiplication des initiatives spectaculaires – souvent de simples effets d’annonce – recouvre une gestion du temps qui consiste à retarder les échéances périlleuses pour maintenir, vaille que vaille, les choses en l’état.

A l’époque de sa splendeur jupitérienne, Emmanuel Macron pouvait jouer sur les deux scènes. Le rhétoricien de la disruption était aussi le patron compréhensif qui savait apaiser les tensions, par la séduction, par la distribution d’espèces sonnantes et trébuchantes et par la violence… Depuis la dissolution de juin 2024, les rôles sont répartis entre l’Elysée et Matignon. Emmanuel Macron se consacre à l’activisme diplomatique, sautant de capitale en capitale, tandis que François Bayrou fait fonction de surveillant général pour une nation transformée en salle d’attente.

L’activisme macronien consiste à tenir le langage du matamore : on va voir ce qu’on va voir et on ne se laissera pas faire. Lors du récent sommet de l’Otan, on a surtout vu les dirigeants européens se rouler aux pieds de Donald Trump sans que le président de la République trouve à y redire. Cet alignement n’a pas troublé les consciences militantes du Rassemblement national – où il y a, paraît-il, des gaullistes – et les fiers-à-bras de la France insoumise.

En cette mi-juillet, l’attente porte sur la conclusion de trois négociations majeures sur lesquelles Emmanuel Macron disserte aimablement mais sur lesquelles nous n’avons pas prise. La signature de l’accord entre l’Union européenne et le Mercosur a été différée afin de permettre à l’Elysée de ne pas perdre complètement la face mais rien ne sera obtenu de Bruxelles en dehors de ces garanties formelles. Nous attendons aussi la conclusion des discussions commerciales entre l’Union européenne et les Etats-Unis, elles aussi reportées de quelques semaines, sans qu’on puisse se faire la moindre illusion : c’est l’Allemagne qui est la maîtresse du jeu européen, par le truchement d’Ursula Von der Layen. Enfin, nous attendons le résultat des discussions russo-américaines sur l’Ukraine, auxquelles la France n’est pas conviée, malgré les rodomontades de l’Elysée.

A Matignon, on s’attend à devoir gérer au jour le jour les conséquences des abandons de souveraineté et du déclin de l’influence française. Le Mercosur, c’est un déferlement de tracteurs sur les routes. Le protectionnisme américain, ce sont de nouvelles entreprises en difficulté, des salariés en colère, des chômeurs à indemniser. La perspective de l’entrée de l’Ukraine dans l’Union européenne, ce sont sans aucun doute de nouvelles fureurs paysannes – et pas seulement en France. D’ordinaire, la gouvernance oligarchique s’appuie sur la FNSEA et la CFDT pour calmer le jeu. Mais la CFDT avait mené jusqu’au bout le combat contre la réforme des retraites en 2023 et il n’est pas sûr que la FNSEA puisse contenir les actions déclenchées par la Confédération paysanne et la Coordination rurale. De toutes manières, il faut une gouvernance solide pour diriger la manœuvre et, le cas échéant, la répression. Or l’équipe Bayrou souffre d’une impopularité maximale, se maintient parce que tel est le bon plaisir du Rassemblement national et tombera probablement lors de la discussion budgétaire. Ce ne sera pas un événement. Depuis la dissolution, on se contente d’expédier les affaires courantes et le successeur de François Bayrou ne changera rien à la donne.

Pour le moment, le Premier ministre est moins que jamais un chef de gouvernement. Il supervise de loin une collection d’auto-entrepreneurs. La plupart sont inconnus de l’opinion publique et ne surgissent qu’à l’occasion d’un drame. Deux d’entre eux, Gérald Darmanin et Bruno Retailleau, se singularisent en concevant leur auto-entreprise comme un marchepied vers l’Elysée. Qu’il s’agisse de l’Algérie, des éoliennes ou des OQTF, leurs interventions sont faites pour maintenir l’attention du public, avant la déclaration officielle de candidature. La démagogie est bien entendu sans limites et peut atteindre des sommets de provocation lorsque Bruno Retailleau, héros de la “droite des valeurs”, affirme qu’il préside le “parti des honnêtes gens” tout en se flattant du parrainage d’un repris de justice nommé Nicolas Sarkozy.

Dans cette gouvernance d’une extrême faiblesse, chacun se donne l’impression d’exister par une tactique de la tension verbale inspirée par les bouffonneries de Donald Trump. C’est risible parce que MM. Retailleau et Darmanin ne sont pas à la taille du président américain. C’est dangereux parce que notre pays est travaillé par de multiples violences qui peuvent exploser à chaque instant. Dans cette ambiance d’irresponsabilité générale, le ministre de l’Economie a décidé récemment d’apporter sa touche personnelle. A Aix-en-Provence début juillet, Éric Lombard a déclaré que la France emprunte désormais “plus cher que l’Italie” – sans préciser que ce qui est vrai pour les taux à cinq ans ne l’est pas pour les taux à dix ans. A quoi bon lancer des avertissements quand on n’est pas capable de remédier aux maux qu’on dénonce ? Connue de tous, la situation financière révèle, dans sa gravité, l’impasse dans laquelle les gouvernances oligarchiques se sont enfermées. Aussi nécessaires soit-elle, une pression fiscale accrue sur les riches ne permettra pas de compenser les effets désastreux de l’euro et du libre-échange sur notre économie. La réduction de la protection sociale serait quant à elle insupportable, quand dix millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté.

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Article publié dans le numéro 1305 de « Royaliste » – 13 juillet 2025

 

 

 

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