A la suite d’une vaste consultation, Stéphane Bern a annoncé le 13 septembre que le château fort de Sedan avait été désigné comme Monument préféré des Français. N’essayons pas de deviner les raisons qui ont conduit au choix d’un bâtiment militaire magnifiquement accordé au paysage, qui exprime la puissance défensive et rappelle des heures tragiques de notre histoire. D’autres monuments de paisible beauté auraient pu être choisis – le trois-mâts Belem, le Haras du Pin – mais le choix s’est porté sur l’art militaire. L’an dernier, c’est la Gare Maritime Transatlantique de Cherbourg et le sous-marin Le Redoutable qui avaient été retenus.

Nostalgie de la puissance nationale ? C’est possible mais gardons-nous d’extrapoler puisque l’abbaye de Cluny est en deuxième position dans le classement. Et les Journées du Patrimoine ont une fois de plus montré que les Français aiment toutes les expressions du génie national – les châteaux et les églises, les ponts et les usines – et nous rappellent que la France ne brille pas seulement par ses écrivains, ses philosophes et ses musiciens mais aussi par ses architectes et ses ingénieurs militaires et civils. Comme les Français aiment d’un même élan les villages et les paysages de leur pays, il va presque sans dire que la nation est un plébiscite de tous les jours et que cet accord manifeste implique une relation populaire à la beauté des œuvres et des lieux.

Ce plébiscite quotidien s’étend à tous les médias qui évoquent l’histoire : émissions de radio, de télévision et sur les réseaux sociaux, revues et livres sans oublier le cinéma. Il y a du bon et du moins bon, parfois du mauvais dans ces productions, mais il n’est pas interdit de faire valoir ses préférences – ici nous privilégions les travaux universitaires – sans mépriser les autres approches.

Certes, les esprits forts ont depuis longtemps tranché : cet amour du patrimoine et de la mémoire historique qu’il porte indique une nostalgie suspecte de la grandeur nationale, un passéisme recuit dans les mièvreries folkloriques, du moisi et du rance pour reprendre les mots favoris d’une certaine gauche. Cette attitude semble inspirée par une lucidité supérieure alors qu’elle procède de clichés sur un peuple qui serait privé de discernement – comme si les conflits du passé et les luttes présentes interdisaient que les Français se retrouvent autour de leurs biens patrimoniaux. Les châteaux, les barrages, les usines, les paysages sont, comme nos dernières entreprises publiques, le capital de ceux qui n’ont pas ou peu de biens personnels.

Les esprits distingués qui s’interrogent sur les goûts populaires feraient bien de s’inquiéter du bain d’ignorance dans lequel barbote le milieu dirigeant. Si les oligarques ont tout appris dans les meilleures écoles, ils se sont empressés d’oublier tout ce qui ne leur était pas immédiatement utile, en se reposant sur leurs collaborateurs pour la rédaction des discours destinés à prouver l’élévation de leur esprit. Ce qui n’empêche pas toujours les fautes historiques – celles de Jacques Chirac lors de la commémoration de la rafle du Vel d’Hiv’ -, les erreurs inexcusables – la Ière République fondée en 1789 – et les bévues géographiques.

Il arrive même que ces ignorances soient proclamées dans les messages de la communication officielle. Ainsi, en juillet dernier, le Musée national de l’histoire de l’immigration fit placarder de belles affiches sur lesquelles on voyait un célèbre portrait du Roi-Soleil ainsi présenté : “Louis XIV, mère espagnole, grand-mère autrichienne. C’est fou tous ces étrangers qui ont fait l’histoire de France”. Ce qui est fou, c’est affirmer que le roi de France était un étranger en raison du sang espagnol et autrichien qui coulait dans ses veines et qu’il était resté étranger puisque c’est comme tel qu’il aurait “fait l’histoire de France” (1).

Or nul n’ignore ou ne devrait ignorer que le droit du sol a été institué par un arrêt du Parlement de Paris, le 23 février 1515. Nul ne pouvait imaginer que Louis XIV, né à Saint-Germain-en-Laye, serait un jour réputé hispano-autrichien par la direction d’un musée national. Ses bonnes intentions pédagogiques prêteraient à sourire si elles ne confortaient l’extrême droite, pour qui certains étrangers sont inassimilables en raison de leurs origines.

L’indifférence à l’histoire, qui caractérise la classe dirigeante depuis le début du siècle, engendre des incompréhensions dangereuses en politique étrangère et une vision minimaliste des enjeux écologiques. L’écologie, c’est l’art et la manière d’habiter le monde, ce qui implique une vision politique d’ensemble. Il faut préserver les monuments, les villes et les paysages dans lesquels ils s’inscrivent mais il est faux de dire que la conservation du patrimoine est typique des peuples en déclin. C’est l’oligarchie qui a renoncé à s’inscrire dans le mouvement de l’histoire nationale, pas le peuple français. C’est elle qui s’accommode d’un urbanisme technocratique, pas les habitants des périphéries qui ont droit à l’invention architecturale et à une nouvelle urbanité. On s’intègre aussi par les lieux.

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1/ Cf. le Blog de Descartes du 13 juillet : “Cachez cet assimilé que je ne saurais voir…”.

Editorial du numéro 1262 de « Royaliste » – 24 septembre 2023

 

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