Les autorités célèbrent chaque année Jeanne d’Arc mais hors de l’épopée johannique, connue surtout par le cinéma, la guerre de Cent Ans est largement tombée dans l’oubli. Amable Sablon du Corail fait revivre cette longue suite de tragédies avant d’expliquer comment le royaume de France a appris à vaincre.

Au XIVe siècle, la nation française est encore bien loin d’être formée mais la question de la souveraineté est déjà cruciale. Le roi de France veut bien reconnaître le roi d’Angleterre comme duc de Guyenne, à condition que les affaires judiciaires du duché soient traitées au Parlement de Paris. Le roi d’Angleterre veut bien être vassal du roi de France mais il entend exercer sur la Guyenne la plénitude de son autorité. Les deux royaumes sont sortis de la féodalité. Le sentiment national s’esquisse, plus nettement en Angleterre qu’en France. Le roi de France peut convoquer pour la guerre le ban et l’arrière-ban – et non plus seulement ses vassaux directs – et les Anglais ajoutent à leur chevalerie les redoutables archers recrutés dans la paysannerie libre.

Lorsque le conflit éclate, le royaume de France est le plus puissant d’Europe et le plus prestigieux, ce qui n’empêche Edouard III d’Angleterre de réclamer symboliquement le trône de Philippe VI de Valois en 1337. Le défi paraît insensé. Ce sont pourtant les Anglais qui additionnent les victoires, sur mer au Tréport, à Boulogne, puis à l’Écluse en 1340, ensuite sur terre à Crécy le 26 août 1346 et à Calais le 3 août 1347.

L’avènement de Jean II le Bon n’interrompt pas la série des désastres militaires, ponctués de fautes diplomatiques et aggravés par les troubles civils. La défaite de Poitiers, le 19 septembre 1356, et la captivité de Jean le Bon ouvre une période de vacance du pouvoir marquée par la révolte d’Etienne Marcel face au dauphin, par la Grande Jacquerie et les menées de Charles de Navarre – dit Le Mauvais. En mai 1360, le traité de Brétigny est à l’avantage de l’Angleterre : Édouard III renonce au trône de France et libère Jean le Bon mais obtient la pleine souveraineté sur une grande Guyenne, soit le tiers du royaume.

Sacré en mai 1364, Charles V parvient difficilement à rétablir son autorité, crée une armée solide, reconquiert maints territoires avec le concours de Bertrand du Guesclin et crée un Etat disposant d’une fiscalité sérieuse. La mort prématurée du roi, en septembre 1380, provoque une période de troubles durement réprimés par Charles VI tandis que la trêve se prolonge entre Français et Anglais.

On sait que la folie de Charles VI, qui se déclare en août 1392, plonge le royaume dans l’une des plus noires tourmentes de son histoire. Luttes pour le pouvoir, reprise des hostilités avec l’Angleterre, guerre civile entre les partisans de Charles d’Orléans – les Armagnacs – et ceux du duc de Bourgogne, défaite d’Azincourt en octobre 1415 et ce “honteux traité de Troyes” de mai 1420 qui prévoit qu’à la mort de Charles VI la couronne reviendra à Henri V d’Angleterre. En 1428, le dauphin n’a plus rien à opposer aux troupes du comte de Salisbury qui, après de nombreuses victoires, met le siège devant Orléans au mois d’octobre.

L’arrivée de Jeanne d’Arc, la délivrance d’Orléans et le sacre de Charles VII, le 16 juillet 1429, marquent le tournant militaire et politique de la guerre. Il faudra de longues et dures années de luttes internes et de rudes combats contre les Anglais pour que ceux-ci abandonnent la partie après la bataille de Castillon en juillet 1453.

Sous la plume érudite d’Amable Sablon du Corail, la guerre de Cent Ans, exposée dans sa redoutable complexité, trouve sa pleine portée historique. On mesure la profondeur des abîmes dans lesquels le royaume avait sombré lorsque se conjuguèrent l’invasion étrangère, la guerre civile entre grands seigneurs et la guerre de classes où s’affrontent les paysans, les bourgeois et les nobles. Le trop bref sursaut autour de Charles V puis la reconquête militaire et politique menée par Charles VII et ses capitaines ne relèvent pas du miracle. Comme toujours, la victoire procède de la réaffirmation conjointe de la légitimité du pouvoir et de la souveraineté territoriale qui vient conforter, dans les populations terriblement éprouvées, le sentiment d’une commune appartenance. Charles V renforce sa légitimité par le principe d’inaliénabilité de la Couronne. Charles VII met un terme au trouble dynastique en se faisant sacrer à Reims. La guerre n’est pas une suite de beaux gestes militaires – elle est plus faite de chevauchées que de batailles rangées – mais un acte politique qui ne peut aboutir sans une volonté de fer.

L’armée royale est bien entendu l’instrument de la reconquête. Mais, selon Amable Sablon du Corail, les remaniements dans l’organisation des troupes ne sont pas plus décisifs que l’artillerie : “les réformes militaires de Charles VII sont d’ordre politique, plutôt que tactique ou technologique”. Cette armée implique un financement et les questions fiscales sont au cœur de la guerre de Cent Ans. La vétusté des finances royales est l’une des causes des premières défaites. Le consentement à l’impôt s’esquisse sous Charles V mais les nécessités de la guerre conduisent Charles VII à décider une réforme fiscale – le rétablissement des aides supprimées en septembre 1380 – qui est une véritable révolution politique, génératrice de l’absolutisme fiscal qui est conforté par l’institution d’une armée permanente (1445) dont le royaume tout entier supporte la charge et par la suppression des assemblées locales à partir de 1450.

Amable Sablon du Corail souligne également le rôle de l’administration royale. Naguère concentrées sur la Bassin parisien, la Normandie et le Languedoc, les grandes juridictions royales sont contraintes de se déplacer à Bourges, où va siéger la Chambre des comptes, et à Poitiers où s’installent le Parlement et la Cour des aides. Juge du contentieux fiscal, cette dernière est de plus en plus souvent saisie par des sujets qui vivent au sud et au centre du royaume. D’une manière générale, l’administration royale se renforce malgré le désordre des opérations militaires, l’insécurité des routes parcourues par des bandes de pillards et la volonté de puissance des seigneurs locaux. L’Etat s’affirme en même temps que la symbolique royale et l’on voit poindre au fil des événements un sentiment que, bien plus tard, on appellera national.

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(1)  Amable Sablon du Corail, La guerre de Cent Ans, Apprendre à vaincre, Passés/Composés, septembre 2022.

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