« Le rôle du diplomate est d’accourir avec un seau partout où le feu menace » (Metternich). Quelques jours après que le 46e président des États-Unis ait délivré sa leçon de diplomatie aux diplomates du Département d’État[1], Donald Trump procède à un exercice d’une toute autre nature sur la diplomatie qu’il entend mettre en œuvre au cours des quatre années à venir. Son discours, prononcé après son investiture le 20 janvier 2025, mérite une attention particulière tant pour son contenu que pour sa méthode. Manifestement, l’homme est mieux préparé que lors de son premier mandat. Ce qui donne d’autant plus de poids à ce qu’il dit et à ce qu’il fait en dépit des critiques sans retenue de la presse mainstream[2]. Le rôle d’un diplomate n’est-il pas de faire face avec courage aux difficultés et non de se lamenter sur un monde irréel ? Ce qu’il y a de plus difficile à apprécier, c’est ce qui se passe sous nos yeux.
DONALD TRUMP FAIT CE QU’IL DIT
Un constat d’évidence s’impose. L’intervention post-investiture du 47e président des États-Unis ne contient pas ou peu de surprise. En effet, ses annonces correspondent à ses engagements souscrits durant la campagne électorale et, encore plus, après son élection le 5 novembre 2024. Il met des mots sur les maux. Retenons les principales mesures annoncées au Capitole !
Son scepticisme chronique sur les vertus d’un multilatéralisme en état de mort cérébrale le conduit tout naturellement au retrait de l’accord de Paris de 2015 sur le climat (comme il l’avait fait lors de son premier mandat), de l’Organisation mondiale de la Santé (à qui il reproche sa gestion catastrophique de la Covid et son refus de procéder aux réformes indispensables[3]).
Dans son discours, il ne mentionne ni l’Europe, ni les alliés de Washington, démontrant ainsi son manque de considération pour ses partenaires. Au mieux il les compare à des idiots utiles, au pire à des empêcheurs de tourner en rond. Telle est la réalité dans ce qu’elle a de plus dérangeante pour les euro-béats et les atlantistes. Voudront-ils en en tirer les conséquences qui s’imposent ?
Il glisse sur les deux conflits : Ukraine[4] et Proche-Orient. Ce silence est tout à fait éloquent même s’il convient de souligner que Donald Trump remplit son contrat (en étroite coopération avec l’administration Biden) : obtenir la libération de trois otages israéliens et la libération de 90 prisonniers palestiniens avant son investiture en échange d’un cessez-le-feu avec le Hamas[5]. Manifestement, l’homme à la mèche blonde sait parfois concilier les impératifs de discrétion de la diplomatie avec les promesses grandiloquentes de la politique. Peu après son discours, nous apprenons qu’un plan de paix avait déjà été présenté au Kremlin qui l’aurait refusé et qu’il menaçait de sanctions la Russie en cas de mauvaise volonté. Nous avons la preuve que Donald Trump est attaché à être le pompier qui éteint les incendies aux quatre coins de la planète et qu’il n’a pas attendu le 20 janvier 205 pour faire jouer la diplomatie de ses émissaires.
Il lance la charge commerciale en mettant la pression sur la Chine[6] et l’Union européenne s’agissant des droits de douane (il leur reproche de ne pas acheter assez de produits américains). Face aux saillies contre les Européens (« Ils nous traitent très mal », « L’UE nous traite très mal »), Bruxelles tergiverse sur les questions du commerce[7] et de la dérégulation financière[8]. Rien de très concret sur l’IA face aux annonces présidentielles (projet Stargate d’un montant de 500 milliards de dollars)[9]. Comme toujours, au moment des choix stratégiques et douloureux, l’Union c’est la désunion.
Avec une constance qui force le respect, Donald Trump met, une nouvelle fois, en garde les Européens qui ne dépensent pas assez pour leur défense[10]. Lors de sa rencontre avec le chancelier allemand, Emmanuel Macron continue à prêcher dans le désert auprès de ses partenaires en appelant à construire une « Europe forte et unie ».
Le président souhaite vivement que l’argent du contribuable américain utilisé le soit à bon escient. En conséquence, il annonce la suspension de l’octroi de l’aide au développement pendant 90 jours. Le temps de l’analyser au prisme de deux critères : est-ce que ces pays nous respectent et quel est l’intérêt pour les États-Unis ? Imagine-t-on un seul instant qu’Emmanuel Macron procède ainsi à l’endroit de toutes nos anciennes colonies d’Afrique peu reconnaissantes.
Ses saillies sur le Canada (annexion en tant que 51e État des États-Unis)[11], Groenland (acquisition au détriment du Danemark pour des raisons de sécurité nationale) et Panama (prise du contrôle du canal de Panama)[12] et Mexique (imposition de droits de douanes et renvoi massif de migrants)[13] relèvent de la provocation dont est friand Donald Trump. Les critiques y voient un nouvel expansionnisme de la « présidence impériale »[14] alors qu’il se situe dans une certaine continuité historique de l’Amérique.
Force est de constater que toutes ces mesures annoncées le 20 janvier 2025 se situent dans un continuum entre la pensée et l’action.
DONALD TRUMP FAIT CE QU’IL PENSE
« La raison est une grande chose mais le cœur et le courage m’importent au moins autant ! » (André Comte-Sponville). Donald Trump promet un « âge d’or » en traçant la perspective américaine sur la planète. Il estime avoir été « sauvé par Dieu pour rendre à l’Amérique sa grandeur ». Il poursuit en décrivant son pays comme « une nation à nulle autre pareille, pleine de compassion, de courage et d’exceptionnalisme » dont la « puissance mettra fin à toutes les guerres et apportera un nouvel esprit et apportera un nouvel esprit d’unité à un monde en colère, violent et totalement imprévisible ». Il résume parfaitement sa pensée en disant « L’héritage dont je serai le plus fier sera celui d’un faiseur de paix et d’un unificateur … le déclin de l’Amérique est fini ». Tout est dit de l’approche conceptuelle trumpiste des relations internationales au XXIe siècle.
L’Amérique n’est-elle pas la « nation indispensable » ? Pour parvenir à cet objectif messianique, le 47e président veut remettre les États-Unis au centre du concert international sur les plans diplomatique en jouant le rôle de pompier des conflits et en refusant toutes les aventures militaires ; stratégique en invitant ses alliés à faire plus en matière de budget de défense pour conforter la « pax americana ») ; commercial en faisant circuler la richesse vers son pays grâce à l’imposition de droits de douanes et à la protection de ses industries contre la concurrence étrangère ; sociétal en mettant à bas toute l’idéologie « woke » ; environnemental en se retirant de l’accord de Paris ; technologique en prenant le leadership sur l’Intelligence artificielle afin de dominer la Chine (son principal adversaire) et vassaliser ses alliés et partenaires et en utilisant à son profit les nouveaux moyens de communication …
Cette démarche se traduit dans le slogan « Make America great again » majoritairement approuvé par les électeurs. De ce discours de la méthode découlent les mesures annoncées par Donald Trump. Il veut faire vite et fort pour que « l’âge d’or de l’Amérique commence maintenant ». Il n’y a aucune surprise sur le fond, à peine quelques remaniements sur l’emballage des idées de son programme[15].
SYMPHONIE DU NOUVEAU MONDE
« Il y a quelque folie à confier, en toute crédulité, à ces joueurs professionnels que nous appelons diplomates, artistes aux mains prestes, aux mots vides et aux nerfs glacés » (Stefan Zweig). Par la conjonction de la radicalité de son projet et la puissance de son volontarisme, Donald Trump fait entrer le monde dans une ère nouvelle en s’exonérant des pudeurs de gazelle des diplomates. Doit-on le lui reprocher avec morgue ?[16] Ne met-il pas l’Union européenne au pied du mur en la poussant à prendre en main son destin ? N’est-ce pas ce que tente de faire Emmanuel Macron lors de ses vœux aux Armées et avec le chancelier allemand avec un succès relatif ? Faut-il lui résister ou repenser nos stratégies face à un tsunami géopolitique ? Avec son discours du 20 janvier 2025, Donald Trump administre une réelle leçon d’anti-diplomatie.
Jean DASPRY
Pseudonyme d’un haut fonctionnaire, docteur en sciences politiques
Les opinions exprimées ici n’engagent que leur auteur
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[1] Jean Daspry, La leçon de diplomatie de Joe Biden, https://www.bertrand-renouvin.fr/la-lecon-de-diplomatie-de-joe-biden-par-jean-daspry/ , 20 janvier 2025.
[2] A.-S. M., Un phare dans la nuit, Le Canard enchaîné, 22 janvier 2025, p. 8.
[3] Alienor de Pompignan, Escroquerie, mauvaise gestion : Trump claque la porte de l’OMS, www.bvoltaire.fr , 21 janvier 2025.
[4] Elise Vincent/Faustine Vincent, Inquiétudes à Kiev, après la suspension des aides annoncées par Trump, Le Monde, 23 janvier 2025, p. 5.
[5] J.-M. Th., Trêve de plaisanterie ?, Le Canard enchaîné, 22 janvier 2025, p. 1.
[6] Harold Thibault, Chine-États-Unis, de l’interdépendance à la concurrence frontale, Le Monde, 23 janvier 2025, p. 27.
[7] Eric Albert, Commerce : pour l’UE, quelle riposte à Trump ?, Le Monde, 23 janvier 2025, p. 13.
[8] Eric Albert, L’Europe inquiète d’une course à la dérégulation financière, Le Monde, 23 janvier 2025, p. 13.
[9] Arnaud Leparmentier, Trump dévoile son plan pour l’IA à 500 milliards de dollars, Le Monde, 23 janvier 2025, p. 14.
[10] Editorial, Europe : dépenser davantage pour la défense, Le Monde, 23 janvier 2025, p. 28.
[11] Eliott Dumoulin, Les provinces du Canada unies pour défendre les intérêts du pays, Le Monde, 23 janvier 2025, p. 2.
[12] Harold Thibault, Le président américain veut faire payer au Panama les faveurs accordées à la Chine, Le Monde, 23 janvier 2025, p. 3.
[13] Anne Vigna, Migrants, droits de douane, au Mexique, Claudia Sheinbaum « garde la tête froide », Le Monde, 23 janvier 2025, p. 3.
[14] Gilles Paris, Avec Trump, un nouvel expansionnsime, Le Monde, 23 janvier 2025, p. 28.
[15] Alfred Courcelles, Discours d’investiture de Trump : Par monts et mots, www.lediplomate.media , 22 janvier 2025.
[16] Éditorial, Donald Trump, l’exaltation de la force par les mots et les décrets, Le Monde, 22 janvier 2025, p. 28.
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