Dans la seconde moitié du XVIe siècle, les embarras dans la succession dynastique provoquent l’affaiblissement du pouvoir royal, qui laisse libre cours aux factions et aux interventions étrangères. C’est dans la guerre civile et pour en finir avec celle-ci qu’Henri IV parvint à réaffirmer sa légitimité.
Les guerres de Religion donnent une inépuisable matière à réflexion politique. Historien de la noblesse et de la fonction militaire sous l’Ancien Régime, Fadi El Hage revient sur les territoires magistralement explorés par Denis Richet, Elie Barnavi, Robert Descimon et Jean-Louis Bourgeon pour étudier plus particulièrement la question de la légitimité du pouvoir sous le règne d’Henri III et au début du règne d’Henri IV (1).
On sait que la loi de succession de père en fils a longtemps assuré la continuité du pouvoir royal, en dépit de nombreuses vicissitudes historiques. La mort accidentelle d’Henri II, le 10 juillet 1559, souligne tout à coup la faille du principe, qui tient à la fragilité humaine. François II est trop jeune et de trop faible santé pour s’affirmer. Il meurt le 5 décembre 1560 et le nouveau roi, Charles IX, n’a que dix ans.
La monarchie est alors sauvée par Catherine de Médicis et par le chancelier Michel de l’Hospital. Tous deux tentent de concilier les factions antagonistes – celle, ultra-catholique, que dirige François de Lorraine, duc de Guise, soldat prestigieux qui commande l’armée ; celle, huguenote, qui rassemble une partie de la noblesse autour du prince de Condé. Ces efforts sont ruinés par les hommes du duc de Guise, qui massacrent des protestants assemblés à Wassy le 1er mars 1562. S’enclenche alors un cycle de violences inouïes qui culmine avec la Saint-Barthélemy en août 1572.
La guerre de Succession de France se déclenche à l’avènement d’Henri III en juin 1574 pour une simple et cruelle raison : le nouveau roi ne peut pas avoir d’enfant. Or le plus proche successeur, Henri de Bourbon, était hérétique et relaps, c’est-à-dire retombé en hérésie : aux yeux des ultra-catholiques, le roi de Navarre s’en trouvait disqualifié. La France subit alors la cinquième guerre de Religion de 1574 à 1576. Celle-ci se termine par l’édit de Beaulieu qui reconnaît aux protestants la liberté de culte, des places de sûreté et une représentation à égalité avec les catholiques dans les Parlements. La situation demeure explosive et les ultra-catholiques déclenchent en mai 1577 une sixième guerre qui se termine en septembre de la même année. Une septième guerre se déroule en 1879-1580.
Cette énumération suffit à montrer que le roi de France ne parvient pas à reprendre le contrôle d’une situation faite de l’emmêlement des passions religieuses, des manœuvres étrangères et des ambitions personnelles.
Quant à la succession, Henri III avait publiquement reconnu le roi de Navarre pour successeur en avril 1584, mais l’idée d’un retour aux origines électives de la monarchie capétienne flottait dans divers esprits. Alors dirigés par Henri de Bourbon, deuxième prince de Condé et cousin du roi de Navarre, les protestants sont évidemment partisans d’un roi protestant.
L’homme de l’Espagne. A l’opposé, la Sainte Ligue se reconstitue sous le commandement d’Henri de Guise qui publie à Péronne le 31 mars 1585 un manifeste affirmant que “l’on ne souffrira jamais régner un hérétique”. Les ligueurs ne sont pas de purs esprits, voués corps et âme à la défense de principes sacrés. Leur chef, le Balafré, qui a organisé le massacre de la Saint-Barthélemy, vit dans le luxe en compagnie de sa maîtresse et accumule les dettes. Surtout, il est l’homme des Espagnols, qui jouent habilement leur jeu dans la guerre française de succession. L’Espagne de Philippe II est alors la grande rivale de l’Angleterre. Madrid vise la monarchie universelle avec le soutien de Rome. Confronté à la révolte des Pays-Bas, Philippe II prépare l’invasion de l’Angleterre pour laquelle le concours français est indispensable. A cette fin, l’Espagne signe avec les chefs de la Ligue le traité de Joinville (31 décembre 1584) qui désigne explicitement le cardinal Charles de Bourbon, prince du sang et oncle du Navarrais, comme futur roi de France.
Madrid, qui finance grassement la Ligue, peut également compter sur plusieurs membres de la haute noblesse, qui tiennent des places ou des provinces stratégiques pour la conquête de l’Angleterre. Ainsi le duc de Mercœur, qui contrôle une partie de la Bretagne, où peuvent relâcher les bateaux de la Grande Armada, tandis que d’autres nobles tiennent maintes villes en Champagne et en Picardie.
La conviction religieuse n’est pas la seule cause de la sédition ligueuse. Dans la noblesse, les stratégies familiales comptent pour beaucoup dans les engagements, à l’exemple des Guise qui veulent porter au plus haut la maison de Lorraine. Fadi El Hage donne plusieurs exemples significatifs d’ascensions sociales réalisées grâce à la guerre civile. Ainsi Claude de La Châtre qui louvoie entre le parti ultra-catholique et la Cour de Charles IX jusqu’à devenir gouverneur de son Berry natal. Ou encore Antoine de Saint-Paul, de noblesse douteuse, qui s’élève en servant le duc de Guise qui le nomme lieutenant général de Reims en 1583.
Face aux pressions de Rome, aux intrigues de l’Espagne, à la sédition de la faction guisarde et à la trahison de nobles opportunistes, Henri III plie mais ne rompt pas. Pourtant, les puissances étrangères pèsent de tout leur poids pour soumettre le roi de France. Dès les premiers troubles religieux, le Saint-Siège exige l’éradication totale du protestantisme… et cherche à récupérer le Comtat Venaissin partiellement occupé par les huguenots. La Rome de Grégoire XIII s’était bruyamment réjouie de la Saint-Barthélemy et Pie V avait dénoncé l’édit de pacification de 1566. Les ultra-catholique bénéficient constamment de l’appui pontifical mais Sixte Quint, élu en avril 1585, s’inquiète de la puissance espagnole et décide de ne pas soutenir la Ligue et les prétentions du cardinal de Bourbon. Cependant, le pape excommunie Henri de Navarre (21 septembre 1585) afin de le priver de ses droits dynastiques. Henri III fait interdire la diffusion de la bulle excommunicatrice, qui heurte de front la tradition gallicane. C’est dans le même esprit de résistance aux tendances théocratiques romaines que le roi de France continue de refuser les décisions du concile de Trente. Mais l’armée royale est trop faible et trop engagée dans le conflit intérieur pour qu’Henri III puisse suivre certains de ses conseillers en déclarant la guerre à l’Espagne et en répondant à l’appel pressant des révoltés des Pays-Bas.
D’ailleurs, le roi de France, de moins en moins capable d’unir les Français, compose avec la Ligue à tel point qu’il semble avoir rejoint le camp ultra-catholique. Le 7 juillet 1585, Henri III fait enregistrer en pleurant l’édit de Nemours qui révoque tous les édits de pacification et interdit le culte protestant – avec pour effet le déclenchement de la huitième guerre de Religion. Près de trois ans plus tard, le roi confronté à l’insurrection ligueuse dans la capitale – c’est la journée des Barricades du 12 mai 1588 – est contraint de fuir Paris où s’installe le duc de Guise, toujours soutenu par l’Espagne. Pour parachever sa victoire, le chef de la Ligue impose au roi de France l’édit d’Union par lequel Henri III promet d’éradiquer le protestantisme, de respecter les décisions du concile de Trente et d’exclure tout prince hérétique de la succession. La cause du cardinal de Bourbon semble alors avancer à grand pas. La Ligue croit pouvoir parachever la soumission du roi lors des Etats-Généraux qui s’ouvrent le 16 octobre 1588 à Blois. Son offensive est interrompue par l’exécution du duc de Guise le 23 décembre, puis par celle du cardinal de Lorraine.
La mise à mort du Balafré désole l’ambassadeur d’Espagne, mais le coup de majesté provoque un déchaînement de violences anti-royales orchestré par les chefs parisiens de la Ligue – les Seize – tandis que les curés et les prédicateurs poussent le peuple à détruire les symboles de la monarchie. En province, nombre de villes se rangent du côté des séditieux, qui jettent le masque. Alors que le Balafré faisait semblant de respecter l’institution royale, les ligueurs entreprennent de délégitimer Henri III. Le duc de Mayenne, désigné par le Parlement de Paris comme “lieutenant général de l’Etat royal et Couronne de France” en mars 1589, annonce la convocation des trois états du royaume afin de procéder à l’élection du futur roi et demande à Sixte Quint de proclamer la déchéance d’Henri III. Après Amiens, Orléans, Abbeville, le ralliement de Lyon à la Ligue conforte la rébellion mais le Saint-Siège juge prudent de ne pas répondre à la demande des ligueurs car il craint la conversion du roi de France au protestantisme. Malgré l’échec de la Grande Armada, qui renonce à envahir l’Angleterre après la bataille de Gravelines (7-8 août 1588), l’Espagne continue de soutenir les troupes ligueuses et les prétentions du cardinal de Bourbon.
L’alliance salutaire. Pour desserrer l’étau et réaffirmer son autorité, Henri III n’a d’autre choix que de s’allier en avril 1589 avec le roi de Navarre, devenu chef des protestants après la mort du prince de Condé. L’alliance est d’autant plus facile que les huguenots n’ont jamais contesté la légitimité du roi de France. Elle entraîne la rupture des relations diplomatiques avec Rome, où Sixte Quint déclare qu’Henri III a renié sa foi catholique en s’alliant avec un protestant – mais sans aller jusqu’à l’excommunication. Mais lorsque le roi est assassiné par le moine Jacques Clément, le 1er août 1589, Rome ne lui accorde pas les honneurs funèbres, et le défunt roi s’en trouve excommunié au for externe. Henri de Navarre est alors immédiatement reconnu comme roi de France et confirmé “par la Cour de Parlement que le roi avait faite à Tours”, sans se convertir au catholicisme.
Fadi El Hage éclaire remarquablement la mise en question de la légitimité dynastique en raison du déclin de l’autorité royale et le lien étroit entre la guerre civile et le jeu des puissances étrangères. Le royaume faillit disparaître mais l’épreuve sanglante permit de réaffirmer le principe de continuité, la francité du pouvoir dans une réaction pré-nationale et l’indépendance à l’égard de Rome. La guerre se fit alors dans la perspective de l’unité à reconquérir, qui fut pleinement réalisée lors de la mort sacrificielle d’Henri IV. Au fil du livre, se dessine l’histoire du parti des Politiques. Nous serions comblés si Fadi El Hage entreprenait de l’écrire.
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Article publié dans le numéro 1264 de « Royaliste » – 20 octobre 2023
1/ Fadi El Hage, La guerre de Succession de France, Henri IV devait-il être roi ?, Passés/Composés, mars 2023.
2/ Pour une vue générale sur les guerres de Religion, voir sur ce blog les chroniques 169 à 175.
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