La monarchie au péril du passé

Oct 19, 1986 | Res Publica

 

Actualité de la monarchie… Que d’articles sur ce thème ! Et combien de fois avons-nous entendu dire que nous prenions nos désirs pour des réalités ! Pourtant, l’idée a cheminé, et la question, qu’on disait dépassée, est aujourd’hui prise au sérieux. C’était l’hiver dernier le dossier publié par « L’Evénement du Jeudi », puis cet été le beau dialogue, dans « Globe », entre le comte de Paris et Harlem Désir. Nous citions il y a quinze jours un éditorial de Louis Pauwels, toujours sensible à l’air du temps, et Michel Polac prépare une émission sur ce thème, que la revue Autrement abordera dans un de ses prochains numéros… A droite, à gauche, au centre, on s’intéresse et on s’interroge -non seulement dans la presse mais aussi dans les milieux politiques, que la Vème République et la coexistence ont rendu sensibles aux idées de légitimité, d’arbitrage, de continuité. Je ne dis pas que certains hommes d’Etat sont en train de devenir monarchistes, mais que les soucis aujourd’hui exprimés favorisent la réflexion sur une monarchie déjà partiellement instituée.

RISQUES

Ces signes devraient nous réjouir puisqu’ils annoncent qu’un grand débat sur la monarchie est désormais possible dans le pays. Comme il serait agréable de se laisser porter par la vague naissante ! Je crois au contraire qu’il nous faut redoubler de vigilance. Toute mode politique (la monarchie, après tant d’autres, pourrait en être une) se crée et risque de se développer dans l’ambiguïté -à la fois pour de bonnes et de mauvaises raisons. Nous tentons de formuler les bonnes et nous sommes heureux de voir nombre d’intellectuels, de journalistes et d’hommes politiques se pencher sur elles. Mais nous ne saurions négliger les mauvaises, qui peuvent se répandre aussi rapidement que les autres. Précisons :

Il y a le risque, mineur, d’un retour à l’extrémisme royaliste, soit sous sa forme virulente (le maurrassisme) soit sous sa forme nostalgique (le prétendu « légitimisme »). Apparemment très éloignés, ces deux courants communient dans le même traditionalisme borné, dans la même haine de la démocratie, dans la même passion de la guerre civile. Ultras, chacun à sa manière, ils ont gravement nui à la monarchie, puis à la tradition royaliste. Il serait désastreux de laisser ces extrémistes porter atteinte à la pertinence de l’idée monarchique, qui tient à l’œuvre novatrice du comte de Paris et au fait que Juan Carlos est le restaurateur et le garant de la démocratie espagnole. Il y a le risque très visible du retour à un passé idéalisé, et de l’enfermement dans celui-ci. C’est là un phénomène déjà ancien, qui s’explique par la crise de notre société : quand le présent déçoit, quand l’avenir inquiète, le passé constitue un séduisant refuge. L’immense succès du « Cheval d’Orgueil » de Pierre Jakez-Hélias (qui montrait pourtant la dureté de la vie paysanne) a été le premier signe de ce mouvement nostalgique qui est développé par les romans historiques, les traités d’ésotérisme et certains historiens spécialisés dans l’apologie du « bon vieux temps ». Cela peut faire plaisir, après tant de propagande antimonarchique. Mais prenons garde : une monarchie qui s’instituerait sur un fond mythique serait une imposture vouée à un rapide effondrement.

ANACHRONISMES

Il y a le risque grave d’un dérapage du débat sur la Révolution française. Jacques Le Goff l’évoque ce mois-ci (1) et redoute que la mode « vendéenne » ne soit le début d’un « grand souffle réactionnaire » qui va « s’exacerber avec l’approche du bicentenaire ». Sans nier l’intérêt et l’importance historique des guerres de Vendée, je crois comme lui qu’elles offrent l’occasion d’un règlement de comptes anachronique (la République n’est plus terroriste) et dangereux : chez les historiens, le « parti vendéen » réveillera le « parti jacobin » et tous les deux, secrètement complices, empêcheront que la Révolution française soit enfin comprise et assumée (2). Quant à l’idée actuelle de la monarchie, il est clair qu’elle serait mise à mal par un tel débat.

Comme résultante des trois autres, il y a enfin le risque majeur de voir réapparaître le vieux débat entre une Monarchie abstraite et une République qui ne le serait pas moins. Parce que l’esprit républicain s’est transformé, parce que la monarchie s’est modernisée conformément à sa tradition (3), parce qu’il y a déjà une part de monarchie dans nos institutions, il y a chance de dépasser un débat devenu, lui aussi, anachronique. Ne nous laissons pas tenter par une régression qui recréerait, dans le pays, une situation de guerre civile. Et prions ceux qui voudraient la susciter, au moins dans les esprits, d’être attentifs à ce que dit et fait le comte de Paris (4). La monarchie n’est pas un système fabriqué et manipulable, mais une tradition vivante et une institution incarnée. Qui, se disant royaliste, refuserait d’entendre ou récuserait le Prince ferait par là même l’aveu de son imposture et de son fanatisme.

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(1) cf. Le Magazine littéraire n°234 octobre 1986

(2) cf. l’article de François Furet dans le Nouvel Observateur des 11-17 juillet 1986 : «il y a deux moyens sûrs de ne rien comprendre à la Révolution française, c’est de la maudire ou de la célébrer», cf. également «Penser la Révolution française» (Gallimard)

(3) Lire ou relire l’excellent « Manifeste archaïque » de Laurent Dispot (Editions Grasset)

(4) Les éditions Grasset annoncent la publication, l’hiver prochain, d’un nouveau livre du comte de Paris, qui y exprimera l’essentiel de sa pensée et de son projet.

Editorial du numéro 456 de « Royaliste » – 19 octobre 1986

 

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