Le choix de ce titre, je crois l’avoir fait il y a quelques années, peu avant ou juste après l’élection présidentielle. Il exprimait à l’époque un souhait, un espoir. Aujourd’hui ce n’est plus qu’une marque ironique puisque, dit-on, la colère est mauvaise conseillère.
Nouvelle donne au Sénat. Cette Assemblée si éloignée de ce qu’elle est censée représenter – les collectivités territoriales de la France d’aujourd’hui, non les communes rurales de la IIIe République – aurait pu, au moins, se donner comme président un homme digne d’être le deuxième personnage de l’État. Il y a au Palais du Luxembourg des hommes tout à fait capables de remplir cette fonction, et d’assumer le cas échéant la lourde responsabilité d’une présidence par intérim. Je pense très précisément à Jean-François Poncet, qui fut ministre des Affaires étrangères, et à Jean-Pierre Fourcade, ancien ministre des Finances…
MÉDIOCRES
Eh bien non ! Les Sénateurs de l’UDF et du RPR se sont mis d’accord sur la personne de René Monory. Peu importe que les jugements sur le personnage politique soient, comme on dit pudiquement, nuancés. Ce qui est grave, c’est que M. Monory se soit déshonoré en 1986 lorsque, ministre de l’Education nationale, il n’a pas démissionné après la mort de Malik Oussekine. Pourquoi avoir choisi un homme de droite déshonoré, plutôt qu’un homme de droite respectable ? Je l’ignore. Mais ce que je sais, c’est que le président du Sénat souhaité par l’Élysée n’était autre que M. Monory. Les calculs qui ont abouti à ce choix sont à l’image du personnage choisi. Médiocres.
Nouvelle donne au gouvernement. Avec, notamment, le retour de M. Soisson. Nous avons connu ce personnage. Trop de mensonges, de petites lâchetés et de trahisons minables nous ont conduit à prendre congé. Avec raison puisque M. Soisson dut quitter le gouvernement pour s’être fait élire à la présidence du Conseil régional de Bourgogne grâce aux voix du Front national. La gauche avait été cohérente en exigeant qu’il soit chassé. Elle ne l’est plus en acceptant qu’il revienne. Elle sera une nouvelle fois trahie, et le président de la République avec elle.
Après Tapie, Soisson. Curieuse tout de même, cette préférence pour les personnages douteux et les franches crapules. Je parle bien sûr du choix présidentiel car on ne nous fera pas croire que les décisions en la matière sont prises par Pierre Bérégovoy. Essayons de comprendre. Préférer pour la présidence du Sénat un homme médiocre et déshonoré à tel autre intègre et capable offre un avantage tactique sur l’adversaire. Mais l’image de la France en sera trop affectée pour que le calcul soit acceptable. Quant au rappel de M. Soisson, il s’explique sans doute par l’affection que le chef de l’État porte à la France des notables, au terroir à la mode républicaine (la vraie, la Troisième !), aux élus du seigle et de la châtaigne. Chacun ses goûts, et ses nostalgies. Mais lorsqu’ils déterminent des choix politiques, ils induisent toujours en erreur. En l’occurrence l’erreur est double et conduit à la faute.
Erreur tactique : le rappel d’un notable bourguignon et d’un autre du Gard (M. Baumet) ne donnera pas le moindre avantage à la majorité présidentielle, ou à ce qu’il en reste. Pour quoi ? Parce que les plus populaires des ministres (Brice Lalonde hier, Bernard Kouchner…) ne sortent ni du terreau provincial, ni des sections socialistes, ni des comités radicaux ; ils sont appréciés parce qu’ils ont des convictions et parce qu’ils les vivent.
Erreur de fond : nous ne sommes plus en 1880. Le radicalisme agonise, et le « pays réel », même repeint aux couleurs de la « société civile », n’est qu’un mythe pernicieux – une manière insidieuse de dénigrer le politique en tant que tel et les serviteurs de l’État. Il n’y a pas plus de moralité politique à Auxerre qu’à Paris, et l’on commence à se demander si certains élus locaux ne sont pas plus irresponsables (quant à l’usage des deniers publics) et corrompus que les députés et les ministres rituellement accusés de tous les péchés. Il faut en prendre son parti : le salut ne viendra pas de la province mauriacienne. Quant à la faute, elle consiste à désigner comme ministre un combinard auxerrois.
COLERES
Ce n’est pas nous qui sommes insultés (après tout qu’importe…) mais toute une génération qui a soutenu François Mitterrand par rejet d’une certaine politicaillerie. Mais l’amertume ou la colère ne doivent pas atténuer la lucidité. Il y a chez le président de la République cet attachement à la vieille France des notables, mais aussi une volonté constante de faire accéder une nouvelle génération (Elisabeth Guigou, Martine Aubry, Jean-Louis Bianco etc.) aux responsabilités politiques. Dans une période de mutation, cette oscillation entre ancien et le nouveau n’est pas surprenante Mais il est urgent de trancher à l’Élysée, au gouvernement et dans chaque parti si l’on veut éviter que la lassitude des uns et le dégoût des autres ne conduisent, à droite comme à gauche, au triomphe des médiocres. C’est la France tout entière qui en paierait le prix.
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Editorial du numéro 586 de « Royaliste » – 19 octobre 1992
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