En établissant l’histoire de la rafle de juillet 1942 à la suite d’un imposant travail sur les archives, Laurent Joly fait resurgir des silhouettes d’hommes, de femmes et d’enfants destinés à l’enfer des camps.

Ce livre ne se lit pas d’un œil sec. Le récit de la rafle, l’examen des documents et le commentaire des statistiques prennent leur densité tragique par la publication de fragments de vies soudain jetées sur les chemins de l’extermination.

Connues par les lettres des internés et les témoignages des survivants, ces histoires personnelles ou familiales illustrent la terrible logique de la rafle, incompréhensible pour tous ceux qui n’en saisissent pas la finalité, invraisemblable pour tout esprit civilisé. Le moment de la rafle est vécu comme un retranchement du monde des humains. Il n’y a plus que la peur, la faim, la violence des arrestations, l’extrême détresse des enfants soudain privés de leurs parents – sans que personne puisse imaginer ce que peut être un camp d’extermination.

Personne dans la foule effrayée qu’on entasse au Vel d’Hiv, à Drancy, puis à Pithiviers et à Beaune-la-Rolande dans l’attente d’un convoi pour Auschwitz… Mais les Allemands préparent avec un méthodique enthousiasme la Solution finale et, à Vichy, on n’est pas dupe des annonces officielles sur une déportation en camp de travail. Le 23 juillet, André Lavagne, chef du cabinet civil de Pétain, note dans son journal que “[les Juifs] seront envoyés en Pologne avec des vivres pour 17 jours, 50 par wagon plombé, sans eau. Les Allemands verront à l’arrivée, ce qui reste de vivant”. La ligne officielle est que le prétendu “Etat français” a tout intérêt à livrer aux Allemands les Juifs étrangers, jugés “indésirables”.

C’est la police parisienne qui est chargée de ce sinistre travail pour satisfaire le général Oberg qui a exigé la livraison de 40 000 juifs et juives en âge de travailler… et qui a répondu positivement à Pierre Laval lorsqu’il lui a demandé de “prendre” aussi les enfants. La rafle des 16 et 17 juillet ne donne pas les résultats attendus par l’Occupant. Les policiers exécutent diversement les ordres donnés par leur hiérarchie, certains font du zèle par carriérisme ou antisémitisme – ils seront épurés après la guerre – tandis que d’autres préviennent des Juifs de la rafle ou n’insistent pas quand leur coup de sonnette reste sans réponse. Surtout, la rumeur d’arrestations massives a circulé et beaucoup ont quitté leur quartier. Ceux qui sont arrêtés sont parqués au Vélodrome d’Hiver dans des conditions effroyables. Le cardinal Suhard ne proteste pas car lui aussi juge que les Juifs étrangers sont “indésirables”… Mais l’opinion publique est scandalisée et beaucoup de parisiens aident de diverses manières les rescapés – qui seront pourchassés jusqu’au 31 juillet 1944.

Dans cette longue série d’horreurs, la responsabilité de Vichy est écrasante. Pétain, Laval et Bousquet auraient pu multiplier les obstacles juridiques et multiplier les cas d’exemption. Ils ont au contraire voulu donner des gages à l’Allemagne en se débarrassant d’étrangers. Ils ont dénaturalisé des Juifs et certains, redevenus étrangers, ont été déportés à Auschwitz. Ils ont laissé arrêter, interner et déporter des milliers d’enfants et, parmi eux, les 3000 petits français raflés en juillet 1942. Ils ont laissé arrêter et déporter des juifs français, coupables de ne pas avoir respecté la réglementation raciste – et même des Anciens combattants mutilés de guerre.

Il est impossible de soutenir que Vichy n’avait pas le choix et qu’il a choisi la politique du moindre mal. La lettre pastorale que l’archevêque de Toulouse, Mgr Saliège, publie le 23 août, puis les protestations de plusieurs dignitaires ecclésiastiques ont empêché Vichy d’ordonner l’arrestation de femmes et d’enfants juifs. J’ajoute que Mgr Saliège prenait soin de préciser dans la lettre que la France n’était pas responsable de ces horreurs. Laurent Joly ne relève pas ce point et affirme que, dans son discours de 1995, Jacques Chirac serait “remarquablement” parvenu à “concilier roman national, vérité historique et ressenti populaire ». C’est ignorer le rejet chiraquien de la conception gaullienne de la légitimité et de la légalité – et de la définition même de la France. Mais ce point de désaccord n’entame en rien le résultat décisif du travail de Laurent Joly.

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(1) Laurent Joly, La rafle du Vel d’Hiv, Paris, juillet 1942, Grasset, 2022.

Article publié dans le numéro 1241 de « Royaliste » – 8 octobre 2022

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