La République abîmée

Juil 1, 2010 | Res Publica

Là où les dirigeants socialistes excellent, c’est dans leur numéro sur l’innocence offensée. Ils ont traversé le siècle dernier en toute pureté, subi leur défaite de 2002 comme une injustice, essuyé d’incompréhensibles déconvenues, ils repartent en guerre contre les méchants et les corrompus avec la Vertu pour armure !

Admirable Martine Aubry qui dénonce « la République abîmée ». Nous souscrivons : l’affaire Woerth, ce n’est pas joli ! Et le scandale des ventes d’armes au Pakistan, ce sera pire. La République des avocats d’affaires n’est pas la République car la défense des intérêts privés – ceux des riches, dans le copinage avec les richissimes – est la règle non-écrite de ce qui tient lieu de gouvernement.

Nous souscrivons, mais demandons, comme naguère l’impeccable Jospin, le droit à un inventaire plus précis. Pour nous comme pour les trois-quarts de nos concitoyens, il est certain que la droite a « abîmé » la France et maltraité le peuple français. Mais c’est, pour l’essentiel, dans la continuité avec ce qui avait été accepté ou ardemment voulu par les dirigeants du Parti socialiste.

En plein accord avec la droite, le gouvernement Jospin a accepté et défendu le quinquennat, cause principale de la dégradation des institutions de la 5ème République.

En plein accord avec la droite, le gouvernement Jospin a participé à la guerre d’agression contre la Yougoslavie.

En plein accord avec la droite, le gouvernement Jospin a engagé nos soldats dans le piège afghan.

En plein accord avec la droite, le gouvernement Jospin a organisé le passage à la prétendue « monnaie unique».

En plein accord avec la droite, le gouvernement Jospin a été le champion des privatisations.

En plein accord avec la droite, François Hollande, Ségolène Royal, Dominique Strauss-Kahn ont fait campagne pour le « traité constitutionnel » alors qu’ils se trouvaient dans l’opposition. Une opposition qui n’a jamais été aussi molle, aussi complaisante, aussi complice parfois que celle qui s’exprime depuis huit ans dans notre pays : la participation renforcée à la guerre que les Américains mènent en Afghanistan, le retour complet dans l’OTAN, le libre-échange qui est la cause première de la crise économique et financière n’ont jamais été sérieusement contestés.

Quant à cette crise qui n’en finit pas de rebondir, silence de la direction socialiste sur son programme historique : nationalisations, planification démocratique, hausse des salaires et renforcement constant de la protection sociale. Ironie de l’histoire : c’est un grand libéral, Maurice Allais, qui a engagé le premier la bataille pour le protectionnisme. Mais la direction socialiste a gardé le silence et continue de se taire (quand elle ne censure pas) sur les propositions faites par des économistes de toutes tendances pour sortir de la crise. Et Martine Aubry, qui fut de tous les mauvais coups portés à la République puisqu’elle joua un rôle de premier plan dans le gouvernement Jospin et dans la campagne pour le Oui au référendum de 2005, Martine Aubry qui copine avec Dominique Strauss-Kahn et Pascal Lamy, responsables hier comme aujourd’hui de choix criminels, Martine Aubry qui dirige un parti abîmé par d’innombrables scandales financiers voudrait nous faire croire que nous allons assister à la revanche des purs, des intègres ?

Martine Aubry appartient à cette « génération morale » qui s’autocélébra vers la fin du siècle dernier. Le temps qui passe permet de mesurer l’ampleur de la faillite morale, l’immensité du désastre politique. Toute une droite qui avait encore une vague relation avec le gaullisme s’est reniée en se donnant à Nicolas Sarkozy. Toute une gauche, celle qui suivit Michel Rocard et Lionel Jospin sur les voies de collaboration sociale-libérale, se prépare à adouber Martine Aubry ou Dominique Strauss-Kahn et peut-être même les deux dans un ticket à l’américaine qui serait du meilleur effet dans les milieux bien-pensants.

Faillite des directions partisanes de droite et de gauche en complète osmose avec l’oligarchie financière – non celle des générations de militants politiques qui, en général, restent fidèles à leurs engagements. Cela fait somme toute peu de gens à congédier. Encore faudrait-il que les militants socialistes et les gaullistes de droite se donnent de nouveaux chefs, capable de penser et d’agir selon leur tradition.

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Editorial du numéro 974 de « Royaliste » – juillet 2010

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