Aux manifestants qui demandent à juste titre le retrait du Contrat première embauche, la fraction villepiniste de la gouvernance oppose le respect de la loi votée par le Parlement et crie à l’attentat contre la démocratie.
Il est vrai que le pouvoir politique ne doit pas céder aux pressions de pressions de la rue – pas plus qu’à d’autres d’ailleurs, plus discrètes ou inavouables. Les mises en garde des défenseurs de la légalité mériteraient qu’on s’y arrête s’ils respectaient eux-mêmes les principes sur lesquels ils s’appuient.
Tel n’est pas le cas.
Jacques Chirac, qui jouait au défenseur de la loi à Bruxelles le 23 mars, a délibérément violé la Constitution avec la complicité de plusieurs hiérarques de droite et de gauche en faisant la guerre à la Yougoslavie sans autorisation du Parlement. Tous sont passibles de la Haute Cour de justice, ce qui les frappe d’illégitimité manifeste.
Je ne suis pas le premier à rappeler que Dominique de Villepin avait promis en arrivant à Matignon de respecter la loi Fillon de mai 2004 aux termes de laquelle « le gouvernement prend l’engagement solennel de renvoyer à la négociation nationale interprofessionnelle toute réforme de nature législative relative au droit du travail. […] Il saisira officiellement les partenaires sociaux, avant l’élaboration de tout projet de loi portant réforme du droit du travail, afin de savoir s’ils souhaitent engager un processus de négociation sur le sujet évoqué par le gouvernement ».
Cet engagement solennel n’a pas été tenu puisque le Premier ministre a imposé le CPE à la représentation nationale par recours à l’article 49-3 sans que les partenaires sociaux aient été saisis au préalable.
Entre deux manifestations, les lycéens des classes terminales et les étudiants en droit ou en philosophie peuvent réfléchir à un beau et grave sujet de dissertation : la Loi et le Droit, en examinant le cas de la loi qui est contraire ou droit ou qui détruit le droit. Le CPE est à cet égard un excellent exemple puisque la loi dite de l’égalité des chances s’inscrit dans un plan de destruction du droit du travail. Pour leur documentation, lycéens et étudiants pourront s’appuyer sur les « Etats généraux de l’inspection du travail face au libéralisme et à la déréglementation » au cours desquels plus de 600 inspecteurs ou contrôleurs du travail ont dénoncé le CPE et le processus de régression sociale engagé depuis vingt ans.
Défendre le droit contre l’injustice d’une loi : telle est la volonté, républicaine et démocratique, bel et bien exprimée par les manifestants.
L’opposition au CPE est d’autant plus fondée que le dispositif arrêté par le Premier ministre s’inscrit dans la logique d’un ultralibéralisme qui a été rejeté par le peuple français lors du référendum du 29 mai dernier. De cette décision majeure, aucune conclusion n’a été tirée. La gouvernance a cru qu’elle pourrait en toute impunité procéder à de nouvelles privatisations – celle de Gaz de France, là encore au mépris de la loi votée – et aggraver la précarité en invoquant selon une analyse du chômage désormais mise en doute par les libéraux eux-mêmes.
La crise des banlieues a été un premier avertissement, vite oublié par Dominique de Villepin et ses ministres. Le mouvement massif de rejet du CPE et de refus de la flexibilité est une deuxième réplique au déni de démocratie dont le peuple français est victime. C’est parce que le suffrage universel n’a pas été respecté que des centaines de milliers de citoyens se retrouvent dans la rue. Si par malheur ceux-ci n’étaient pas entendus, d’autres révoltes éclateraient, plus violentes, plus sanglantes. Mais si la bataille contre le CPE est gagnée, il faudra continuer la lutte car l’oligarchie reprendra en d’autres occasions et sous d’autres formes les dispositions qu’elle aura été obligée de retirer. C’est ainsi qu’elle manœuvre, pour tenter de sauver le « traité constitutionnel ».
L’illégitimité de l’équipe en place s’établit par une ultime preuve, décisive : le viol délibéré du Préambule de la Constitution de 1946, qui reprend et complète les principes fondamentaux de notre droit politique.
La rue n’est pas séditieuse. Elle demande justice.
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Editorial du numéro 879 de « Royaliste » – 2006
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