La souveraineté, vraiment ?

Avr 5, 2020 | Res Publica

 

Qui se souvient de Jupiter ? L’élu de mai 2017 qui donnait à admirer son universelle compétence et ses magnifiques talents a perdu le contrôle des événements dès l’automne 2018, face à la révolte des Gilets jaunes. Il a cru pouvoir reprendre le contrôle par la violence répressive, agrémentée d’un surcroît de communication lors du “Grand débat”, mais le mouvement de grèves et de manifestations contre la réforme des retraites a souligné l’opposition irrémédiable entre la classe dominante et la majorité des citoyens.

La crise sanitaire fait maintenant apparaître une “gouvernance” au bout du rouleau. Trop de mensonges, trop d’injonctions contradictoires viennent ponctuer la gestion anarchique des pénuries de masques, de respirateurs et de médicaments. La communication sur la “guerre” se retourne contre le “général en chef” sans cesse débordé par l’ennemi invisible et sur son état-major qui s’est récemment illustré par la déclaration du préfet de Paris déclarant coupables d’indiscipline les victimes hospitalisées de l’incurie gouvernementale.

En perte totale de contrôle, Emmanuel Macron fait ce qu’il croit savoir faire : il se montre, il dit des mots, il “communique” comme si son verbe et sa prestance pouvaient changer le cours de l’histoire. Car l’histoire est en train de se faire, dans la violence d’une crise économique qui va intensifier la lutte des classes et recomposer la hiérarchie des puissances en Europe et dans le monde.

C’est dans ce paysage en voie de bouleversement qu’Emmanuel Macron est allé visiter l’usine de masques médicaux Kolmi-Hopen à Saint-Barthélemy d’Anjou le 31 mars. Le premier objectif était de rassurer – maître-mot – sur nos capacités de production et d’importation de matériel médical. Nous saurons nous souvenir de ce qui a été affirmé ce jour-là, lorsque l’heure des comptes aura sonné… Le communiquant-en-chef voulait aussi nous signifier qu’il avait pris la mesure des faiblesses industrielles de notre pays. D’où un curieux discours. Emmanuel Macron affirma d’abord qu’il fallait “rebâtir notre souveraineté nationale et européenne” puis il exhorta à “retrouver la force morale et la volonté pour produire davantage en France et retrouver cette indépendance” qu’il voudrait “pleine et entière”… du moins dans la production de matériel médical.

Limitée à un seul secteur d’activité, l’ambition “souverainiste” se complique d’une référence à la “souveraineté européenne” qui souligne la persistance d’un aveuglement. Emmanuel Macron se raccroche à une fiction conceptuelle plaquée avant la crise sanitaire sur une “Europe” déjà paralysée et paralysante. Il ne veut pas voir que la pandémie accélère le processus de décomposition de l’Union européenne. Les peuples des Etats-membres ont entendu des milliers de discours sur “l’Europe-puissance” mais chacun aujourd’hui pense avec Blaise Pascal que “le propre de la puissance est de protéger”. Or les organes de l’Union ne nous protègent en rien de la pandémie. Au contraire, ce sont les mesures d’austérité imposées par les traités et les règlements “européens” qui sont responsables de l’affaiblissement des systèmes de santé. Dans ce désastre, l’Italie a été soutenue par la Chine, la Russie, le Venezuela et Cubains, et la France accueille elle aussi, aux Antilles, des médecins cubains !

Face à la crise économique, l’Allemagne tout occupée à se sauver elle-même a signifié son refus d’une mutualisation des dettes et pèse de tout son poids pour limiter la mise en œuvre d’une assistance financière après la mise en sommeil du Pacte de stabilité. Qu’il s’agisse de frontières ou de politique budgétaire, les Etats nationaux ont repris leurs droits. Loin de prendre chair, le fantôme de la “souveraineté européenne” s’est éclipsé.

Pour toujours ? C’est ce qu’il faut souhaiter mais déjà les apologistes du “modèle allemand” et de l’Europe fédérale affirment que, si l’Union européenne est en grand péril, elle peut y trouver l’occasion de se refonder. Comme les organes de l’Union sont anti-démocratiques, une refondation impliquerait la redéfinition des pouvoirs de la Commission européenne, du Parlement européen, de la Cour de justice de l’Union, de l’Eurogroupe, le contrôle de la Banque centrale européenne et la destruction de la technostructure informelle qui prend les décisions de politique monétaire. Il faudrait ensuite rédiger un nouveau traité qui devrait être soumis à référendum dans tous les Etats membres de l’Union. En deux mots : une tâche herculéenne, vouée à être rejetée par des peuples exposés tantôt à l’inertie, tantôt à la violence des prétendues élites de Bruxelles et Berlin. D’ailleurs, il n’est pas difficile de comprendre que les odes à la “souveraineté européenne” et à la “refondation” de l’Union sont faites en vue d’un replâtrage des structures en voie d’effondrement.

Tel que l’esquisse Emmanuel Macron, le discours sur la souveraineté nationale n’est pas plus sérieux. L’indépendance de la nation implique une économie dirigée et une pleine souveraineté monétaire. Nous aurons l’occasion de la redire : c’est la zone euro qu’il faut quitter.

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Editorial du numéro 1187 de « Royaliste » – Avril 2020

 

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