« Souvent, un dessin dit en quelques traits plus que de longs développements journalistiques. Il marque et imprime dans les consciences des représentations beaucoup plus fortes et bien plus rapidement que le discours politique ne saurait le faire. Dans l’économie du trait de plume se lisent en concentré tous les affects d’une époque, tous les commentaires, et toute la hiérarchie des crispations internationales ».
DE L’ORIGINALITÉ DE L’APPROCHE MÉTHODOLOGIQUE
L’on ne saurait mieux dire que ne le font les deux auteurs (une Française et un Britannique à la formation d’historien) de l’ouvrage intitulé « De Gaulle, la France et le monde. Trente ans d’histoire par la caricature 1940-1970 » dans leur introduction ![1] Comment sortir des sentiers battus dans l’approche de la vie bien remplie du général en adoptant une approche aussi sérieuse que drôle ? En prenant le parti d’analyser méthodiquement, scientifiquement toutes les caricatures de l’homme de l’appel du 18 juin 1940 publiées dans la presse internationale entre 1940 et 1970 afin d’en faire une sélection représentative ! Même si cela n’est pas chose aisée, disons-le d’entrée de jeu, le pari est pleinement réussi. Si les dessins humoristiques sont nombreux, les commentaires objectifs sur le contexte de chacune des époques correspondantes sont aussi utiles que pédagogiques par leur effort de contextualisation des initiatives du général de Gaulle. Outre un index des noms mentionnés, figurent en fin d’ouvrage une biographie des illustrateurs et une bibliographie sélective sur le sujet. Comme dirait l’autre, c’est du sérieux. L’expert des relations internationales retrouve méthodiquement disséquées les grandes étapes du redressement de la France opéré par le premier Président de la Cinquième République sur la scène internationale de 1958 à 1970. On l’aura compris, rien ne sera plus comme avant lorsque le général de Gaulle décide volontairement de quitter le pouvoir après l’échec du référendum dont il aurait pu se passer. La France change alors d’époque et de monde même si son empreinte est encore présente lorsque sont évoqués, souvent à tort et à travers, les concepts galvaudés d’indépendance et de souveraineté.
DE L’ORIGINALITÉ DE L’APPROCHE THÉMATIQUE
Comment se présente cet ouvrage d’environ 250 pages d’un format agréable même si les caractères sont souvent trop petits ? Outre une introduction (« Quand le monde regardait de Gaulle ») et un épilogue (« De Gaulle outre-tombe »), l’ouvrage se décline en dix chapitres présentés de manière chronologique entrecoupés de Focus thématiques : le général rebelle 1940-1945 ; une certaine idée de la République 1945-1962 ; Focus : le nez porte le monde ; la guerre d’Algérie : le grand malentendu ; De Gaulle face aux deux Grands ; Focus : un si grand homme ; L’Europe à l’anglaise sans les Anglais ; De Gaulle devant le monde ; Focus : l’homme aux mille visages ; Le rideau tombe : 1968-1969. L’ouvrage se conclut par quelques caricatures de ses successeurs. Quelle meilleure synthèse claire d’une action internationale portée par une stratégie claire et compréhensible par le commun des mortels sur la construction européenne, la relation avec l’Oncle Sam, la Russie, la Chine, l’Afrique et le reste du monde … ! L’on pense immédiatement à la citation célèbre de Nicolas Boileau : « Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement. Et les mots pour le dire arrivent aisément ». Une superbe leçon pour apprentis diplomates en mal d’apprendre leur futur métier grâce aux enseignements d’un passé prestigieux. On se prend à rêver en imaginant que l’actuel titulaire de la fonction présidentielle puisse tirer toutes les leçons, les enseignements de l’héritage gaullien, tel qu’il ressort de la lecture de cette somme, pour le plus grand bien de notre pays. Nous n’en sommes malheureusement pas là. Mais, même plus de cinq décennies après son départ de l’Élysée, force est de constater que ses leçons de diplomatie sont toujours d’actualité pour celui qui prend le temps de lire, de comprendre les écrits et les discours du grand homme.
DE L’ORIGINALITÉ DE L’APPROCHE CONCEPTUELLE
Le moins que l’on puisse dire est que le général de Gaulle ne laisse pas indifférents les caricaturistes étrangers tant il marque fortement de son empreinte les relations internationales durant trois décennies. Empreinte par son imposante stature (son nez revient dans une majorité des dessins qui le concernent) mais aussi par la puissance de ses mots (ciselés par le général lui-même et non par des communicants comme c’est le cas aujourd’hui) dont on se souvient encore de nos jours. Il y a chez tous ceux qui le croquent une relation ambigüe faite de dénigrement affiché (à l’encontre de sa fameuse « certaine idée de la France » et son arrogance, son aplomb) mais aussi d’admiration dissimulée (à l’égard de l’épaisseur intellectuelle, conceptuelle et historique de l’homme de l’appel du 18 juin 1940) à tel point qu’ils l’invitent à ne pas se retirer de la vie politique afin de continuer à leur fournir un sujet inépuisable de caricatures. À travers cette suite de croquis du général de Gaulle se dessinent les linéaments de sa politique étrangère indépendante et souveraine qu’il peut déployer avec cohérence et constance après la fin de la guerre d’Algérie en 1962. Une démarche qui marque ses prédécesseurs immédiats pour le plus grand bien de notre Douce France et de son crédit dans le concert des nations. Une démarche qui fait défaut à ses lointains successeurs – Emmanuel Macron en tête de liste – pour le plus grand mal de notre Douce France et de son crédit dans le concert des nations au XXIe siècle.
RETOUR VERS LE PASSÉ
« La présence du général de Gaulle se mesure au nombre d’imitations qu’il suscite sous le crayon de la caricature internationale »[2]. Cette phrase résume, à elle seule, la quintessence de l’ouvrage à travers le va-et-vient permanent des auteurs entre les prises de position courageuses, téméraires du général sur les grandes problématiques du moment et leurs représentations souvent critiques par ses caricaturistes étrangers. Il est bien dommage que cet opus magnum n’ait pas fait l’objet de plusieurs recensions par nos impayables perroquets à carte de presse friands de l’inutile et de l’éphémère. Pour tous ceux qui sont désireux de connaître le passé pour mieux comprendre le présent et anticiper l’avenir, nous ne saurions trop leur recommander la lecture de cet ouvrage, savant cocktail d’histoire et d’humour, qui dresse un portrait vérité de la statue du commandeur au prisme de la caricature. À consommer sans modération.
Jean DASPRY
(Pseudonyme d’un haut fonctionnaire, docteur en sciences politiques).
Les opinions exprimées ici n’engagent que leur auteur.
[1] Alya Aglan/Julian Jackson, De Gaulle, la France et le monde. Trente ans d’histoire de la caricature 1940-1970, Gallimard, p. 5.
[2] Ouvrage précité, p. 220.
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