La violence d’une oubliée

Nov 17, 2008 | la lutte des classes

 

L’offensive menée par le patronat et ses alliés politiques contre les salariés a réussi à cause des renoncements successifs de l’élite rose. François Ruffin ne parvient pas à se faire une raison.

Les puissants ne prennent jamais garde aux rebelles discrets, aux révolutionnaires courtois – ni même aux enquêteurs obstinés. Le cas de François Ruffin relève des trois catégories. Il y a cinq ans, il avait refusé de se couler dans le conformisme médiatique et publié un livre (1) qui lui fermait les portes des salles de rédaction où l’on peut, très jeune, confortablement gagner sa vie en guignant les sommets de la profession : devenir Etienne Mougeotte ou Christine Ockrent, fabuleux destin…

Ce mauvais esprit avait persévéré en combattant Le Courrier Picard à bord d’un brûlot nommé Fakir et il s’obstine au Monde diplomatique. Cette mal-pensance n’est pas le fruit blet d’une idéologie recuite mais l’effet d’une double constatation : les riches font la guerre aux pauvres, les pauvres perdent cette guerre à cause des reniements de leurs protecteurs autoproclamés. Et de cette trahison, François Rufin ne se remet pas. Alors il a écrit un nouveau livre (2) pour souligner l’évidence de la violence patronale et pour refaire toute l’histoire de la défection de celles et ceux qui osent encore se dire aujourd’hui socialistes.

On dira que tout cela est archi-connu. Il est vrai que les statistiques sont là : énorme enrichissement des riches, appauvrissement des pauvres – et de ceux qui étaient à l’aise il y a dix ou vingt ans. Mais ce qui est connu doit être reconnu et nous sommes encore loin du moment où l’évidence enfin généralement admise de l’injustice fera prédominer le sentiment de l’intolérable d’où naîtront les révoltes et les révolutions constructives.

A cet égard, François Rufin a un triple mérite : faire tomber les masques des puissants ; appeler les choses par leur nom ; donner maints exemples, par voie de reportages, de la violence sociale.

Je laisse au lecteur le soin de découvrir comment cela se passe quand la CGT vient, au nom de tout un personnel sacrifié, troubler Bernard Arnault et les actionnaires de LVMH. Je le prie de parfaire sa connaissance des revenus et de mesurer à nouveau l’écart entre la feuille de paie de 1 000 € et les émoluments de Dominique Strauss-Kahn au FMI : 300 000 euros annuels (nets d’impôts) qui lui permettent de déclarer, après un personnage dont il se dit l’adversaire, qu’il faut travailler plus pour gagner plus. Et les revenus des grands patrons sont tellement élevés qu’ils en deviennent abstraits.

C’est à cela qu’on vérifie la réalité d’une lutte de classes que les diverses fractions de la classe politique s’emploient à nier depuis un quart de siècle. François Ruffin a cherché dans une montagne de déclarations publiques : rien sur la lutte des classes chez Ségolène Royal. Rien chez François Chérèque. Rien chez Marie-George Buffet. Interrogés par François Rufin sur les raisons de cet oubli, les hiérarques de la gauche politique et syndicale ont renchéri dans la médiocrité, la veulerie, l’enfumage.

Relire les propos de campagne de Ségolène Royal, qui veut gommer les conflits sociaux et qui tient aux patrons ce rude langage : « Faites des profits, augmentez vos revenus ! ». Découvrir la bouillie pour les chats touillée par l’étoile montante du Parti, Vincent Peillon, don Quichotte terrassant l’hydre marxiste qui a quitté le marigot politique depuis belle lurette et exaltant « le retour à la tradition individualiste »…

La vérité sociale et politique, c’est chez le milliardaire Warren Buffet qu’on la trouve clairement énoncée : « La guerre des classes existe, c’est un fait, mais c’est la mienne, la classe des riches, qui mène cette guerre et nous sommes en train de gagner ».

Les vainqueurs du moment ont trouvé leurs Collaborateurs. Ce n’est pas la première fois dans l’histoire mais la guerre n’est pas terminée.

***

(1)  François Rufin, Les Petits Soldats du journalisme, Les Arènes, 2003.

(2)  François Ruffin, La guerre des classes, Fayard, 2008.

 

Article publié dans le numéro 935 de « Royaliste » – 17 novembre 2008

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