L’abdication du roi Albert II : une étude de Denis Cribier (1)

Juil 9, 2013 | Billet invité

Le 3 juillet 2013 au matin, dans une lettre remise au secrétaire particulier du Premier ministre (procédure habituelle de transmission des documents du Palais royal), le roi Albert II des Belges a fait part au Premier ministre, le socialiste francophone Elio Di Rupo, de sa volonté d’abdiquer en ces termes :

« Monsieur le Premier Ministre,
Je reviens vers vous dans le prolongement de nos entretiens, après un temps de réflexion que vous m’avez suggéré de prendre. Durant cette période, j’ai prêté la plus grande attention aux considérations légitimes que vous m’avez exposées à l’occasion de nos échanges. C’est avec regret mais aussi en âme et conscience que je vous confirme, par la présente lettre, la teneur du message dont je vous avais fait part. Je me dois, en effet, de constater que ma santé ne me permet plus d’exercer ma fonction comme je le voudrais. Je suis profondément convaincu que ce serait manquer à mes devoirs et à ma conception de la fonction royale que de vouloir me maintenir en exercice à tout prix, sans être en mesure d’assumer pleinement mon rôle. C’est une question élémentaire de respect envers les institutions et envers les citoyens. Je constate aussi que le prince Philippe est bien préparé pour me succéder. Après 20 ans de règne et vu mon état de santé, j’estime que le moment est venu de passer le flambeau à la génération suivante. Le prince Philippe et la princesse Mathilde jouissent de toute ma confiance. C’est donc avec sérénité et confiance que je vous réaffirme mon souhait d’abdiquer ce 21 juillet 2013, jour de notre fête nationale, en faveur du prince héritier, mon fils Philippe. Aussi, Monsieur le Premier Ministre, avec votre accord et selon les modalités qui vous conviennent, j’aimerais pouvoir en informer les membres du conseil ministériel restreint directement et en personne. Votre dévoué Albert ».

Il est ainsi fait état que le Premier ministre avait demandé au Roi de prendre un temps de réflexion avant de se décider à abdiquer, et qu’en dépit des 80 ans d’Albert II, il y avait un souhait de la part du gouvernement à le voir se maintenir sur le trône, compte-tenu de la longue crise politique qu’a connue la Belgique, avant la nomination d’Elio Di Rupo, comme Premier ministre, le 6 décembre 2011.

C’est donc dans son bureau du Palais royal de Bruxelles, que le Roi a informé de sa décision, directement et en personne, le Premier ministre Elio Di Rupo et les six vice-premiers ministres représentant chacun des six partis, formant le gouvernement belge (Johan Van de Lanotte, Pieter De Crem, Alexander De Croo, Laurette Onkelinx, Joëlle Milquet et Didier Reynders).

Puis, par une déclaration télévisée, après plus de vingt années de règne, le Roi s’est adressé debout à la nation belge (avec en arrière-plan le portrait de Léopold Ier, fondateur de la dynastie belge depuis sa prestation de serment du 21 juillet 1831), dans les termes suivants :

« C’est avec émotion que je m’adresse à chacune et chacun d’entre vous aujourd’hui. Je suis entré dans ma 80ème année, un âge encore jamais atteint par mes prédécesseurs dans l’exercice de leur fonction. Je constate que mon âge et ma santé ne me permettent plus d’exercer ma fonction, comme je le voudrais.

Ce serait manquer à mes devoirs et à ma conception de la fonction royale que de vouloir me maintenir en exercice à tout prix, sans être en mesure d’assumer pleinement mon rôle. C’est une question élémentaire de respect envers les institutions et envers vous, chers concitoyens.

Après 20 ans de règne, j’estime donc que le moment est venu de passer le flambeau à la génération suivante. Je constate que le prince Philippe est bien préparé pour me succéder. Il jouit avec la princesse Mathilde de toute ma confiance. Au fil des années, notamment dans le cadre des missions économiques à l’étranger, le prince Philippe a montré combien ses engagements envers notre pays lui tiennent à cœur. Et par dessus tout, avec le temps, j’ai appris que notre pays peut compter sur un atout extraordinaire : vous, mes chers concitoyens! Avec une population si riche de ses talents, de sa diversité, de son énergie, de sa générosité, l’avenir de notre pays est en de bonnes mains. C’est donc avec sérénité et confiance que je vous fais part de mon intention d’abdiquer ce 21 juillet 2013, jour de notre fête nationale, en faveur du prince héritier, mon fils Philippe.

Tout au long de mon règne, une conviction profonde a guidé ma conception de la fonction royale : le rôle du roi des Belges et sa légitimité est de se mettre au service de la démocratie et de ses concitoyens, seuls titulaires de la souveraineté. A cet égard, l’institution royale doit continuer à évoluer avec son temps. Comme de coutume, je m’adresserai encore à vous le 20 juillet prochain, et je participerai avec la Reine et les nouveaux souverains aux cérémonies du 21 juillet. Je souhaite déjà vous dire que ce fut pour moi un honneur et une chance d’avoir pu consacrer une large partie de ma vie au service de notre pays et de sa population.

La reine Paola et moi n’oublierons jamais tant de liens chaleureux tissés avec toute la population durant ces 20 dernières années. Nous vous remercions pour la confiance que vous nous avez témoignée, pour vos gestes de sympathie et de soutien, même empreints parfois de quelques critiques. Nous gardons dans notre cœur le souvenir de nombreuses rencontres dans des moments joyeux, mais aussi lors de grandes épreuves. Bien entendu, la fin de mon règne ne signifie pas que nos chemins maintenant se séparent, bien au contraire. Vive la Belgique! ».

 

Bien que la réforme de l’Etat fédéral ne soit pas totalement achevée en Belgique, et que le pays connaît toujours des difficultés économiques, l’on peut considérer que le Roi disposait avant les nouvelles élections législatives de juin 2014, et après la nomination d’Elio Di Rupo comme Premier ministre (mettant fin à 546 jours de crise politique et gouvernementale en Belgique, en l’absence de Premier ministre), d’une réelle fenêtre d’opportunité, dans une période de relative accalmie institutionnelle, pour passer la main à son fils, le Prince Philippe, au moment de la fête nationale du 21 juillet prochain. Il est en effet clair que les soucis de santé du Roi et son âge avancé, malgré sa longue expérience, auraient pu être un handicap en cas de nouvelle crise politique en 2014, alors que le Prince Philippe aura près d’une année pour se préparer à toute éventualité.

Le Premier ministre belge sur son compte Twitter,  a aussitôt rendu hommage au roi Albert II en français et en flamand, indiquant que le « gouvernement fédéral exprime son respect et sa compréhension pour la décision du roi », et sa « profonde gratitude pour l’engagement d’Albert II au service des Belges tout au long de ses 20 années de règne ».

Cet événement majeur, qui s’inscrit dans la continuité historique de l’Etat belge est cependant exceptionnel, puisque c’est la première fois, depuis la naissance de la Belgique, que l’abdication du Roi se veut être un acte volontaire, dû aux nécessités de l’âge et de la transmission de l’autorité royale à une nouvelle génération, plutôt qu’à une décision contrainte par le divorce entre la nation et son Roi, comme ce fut le cas pour le Roi Léopold III (le père d’Albert II).

En effet, en 1951, suite à la période tumultueuse s’écoulant du 7 mai 1945 au 17 juillet 1951, plus connue sous le nom de « question royale » relative aux événements politiques marquant le retour du Roi en Belgique, après la Seconde Guerre mondiale, le Roi Léopold III fut contraint d’abdiquer en faveur de son fils aîné Baudouin 1er, auquel succèdera à sa mort, son frère Albert II, le 9 août 1993.

Ainsi, en prenant cette décision, pour laquelle la Constitution belge ne prévoit pas de disposition particulière, contrairement à la monarchie néerlandaise voisine qui en fait une prérogative royale à part entière, dont l’ex-Reine Béatrix des Pays usa récemment en faveur de son fils (cf. mon article sur Willem Alexander nouveau Roi des Pays-Bas), le Roi Albert II innove dans la tradition constitutionnelle belge, tout comme l’a également fait en 2013, toute proportion gardée, le pape Benoît XVI pour la Constitution vaticane, en renonçant pour des motifs « similaires » au trône de Saint Pierre.

Alors qu’en cas de décès, une période d’interrègne limitée à dix jours est prévue par la Constitution, pendant laquelle le gouvernement assume seul les pouvoirs du Roi (Article 90 : « A la mort du Roi, les Chambres s’assemblent sans convocation, au plus tard le dixième jour après celui du décès… A dater de la mort du Roi et jusqu’à la prestation du serment de son successeur au trône ou du Régent, les pouvoirs constitutionnels du Roi sont exercés, au nom du peuple belge, par les ministres réunis en conseil, et sous leur responsabilité »), il est probable que pour éviter une période d’interrègne, l’acte d’abdication du Roi Albert II stipulera précisément que sa prise d’effet n’ aura lieu qu’à partir du 21 juillet 2013, date de la fête nationale belge, et de l’intronisation du Prince Philippe, comme le Roi l’a annoncé lui-même.

Albert II a par ailleurs fait savoir qu’il prononcera un discours d’adieu pour le 20 juillet, et participera aux traditionnelles cérémonies de la fête nationale « avec le nouveau souverain ».

En effet, le Prince Philippe, héritier du trône selon l’ordre constitutionnel de succession dynastique, ne pourra cependant succéder au Roi, dès la signature de l’acte d’abdication de son père, mais seulement après avoir prêté serment devant les Chambres réunies (Article 91 : « Le Roi est majeur à l’âge de dix-huit ans accomplis. Le Roi ne prend possession du trône qu’après avoir solennellement prêté, dans le sein des Chambres réunies, le serment suivant : « Je jure d’observer la Constitution et les lois du peuple belge, de maintenir l’indépendance nationale et l’intégrité du territoire. »).

Il y a là également, une différence notoire avec la monarchie néerlandaise, où dès la signature de l’acte d’abdication ou la mort du Roi ou de la Reine, le nouveau souverain prend immédiatement la succession, avant même l’intronisation, de sorte que le trône ne peut être vacant aux Pays-Bas ; en Belgique, il peut y avoir vacance, comme cela est par ailleurs indiqué à un autre article de la Constitution pour un autre cas (Article 86 : « A défaut de descendance de S.M. Léopold, Georges, Chrétien, Frédéric de Saxe-Cobourg, le Roi pourra nommer son successeur, avec l’assentiment des Chambres, émis de la manière prescrite par l’article 87. S’il n’y a pas eu de nomination faite d’après le mode ci-dessus, le trône sera vacant »).

Tel qu’il pourra être évoqué dans un prochain article, l’intronisation en Belgique n’a donc pas la même signification, ni la même portée qu’aux Pays-Bas, ce qui n’est pas sans conséquence dans l’esprit des institutions belges.

Denis CRIBIER

 

 

 

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