En décidant de sanctionner un député qui l’avait interpellée en respectant la grammaire française, Sandrine Mazetier a fait un coup de force : ce n’est pas l’autorité politique qui édicte les règles grammaticales, mais, depuis 1635, l’Académie française.
Le 7 octobre, le député Julien Aubert s’adresse à Sandrine Mazetier, qui préside la séance de l’Assemblée nationale : « Madame le Président ». L’élu de la nation est immédiatement sanctionné par un rappel à l’ordre inscrit au procès-verbal qui le prive du quart de son indemnité parlementaire. C’est signifier brutalement que la grammaire française doit plier devant le principe de parité qui impose la féminisation des titres et fonctions.
Mais de quel droit ? Interrogée par un journaliste de « Causeur », la présidence de l’Assemblée invoque l’article 19 de l’instruction générale du Bureau qui indique dans son alinéa 3 que « Les fonctions exercées au sein de l’Assemblée sont mentionnées avec la marque du genre commandé par la personne concernée ». Mais cette faute de français est imposée aux fonctionnaires qui rédigent le compte-rendu des débats et non aux parlementaires comme le souligne David Desgouilles dans son excellent article (1).
Soutenu par plus de cent collègues, le député puni a publié dans « Le Figaro » une virulente tribune dans laquelle il compare le tintamarre médiatique provoqué par son interpellation et l’écho donné par la presse aux propositions de l’UMP sur la transition énergétique : « …la conférence de presse que nous avons donnée pour présenter notre position a généreusement attiré 4 journalistes, dont 3 de la presse spécialisée » ! Mais les parlementaires qui avaient soutenu Julien Aubert ont été fustigés par la presse bien-pensante et « un site poétiquement appelé «Macholand» a tout simplement envahi et bloqué leurs boites mail. Intelligence de la méthode, respect des idées, tout y est. »
C’est dans cette ambiance que l’Académie française a publié une mise au point (2) sur « La féminisation des noms de métiers, fonctions, grades ou titres » que la classe politico-médiatique se gardera bien de respecter, au mépris de l’institution chargée de consacrer l’usage et de fixer les règles de notre langue. Voici :
L’Académie française « n’entend nullement rompre avec la tradition de féminisation des noms de métiers et fonctions, qui découle de l’usage même » et c’est ainsi qu’elle a enregistré en 1935 des formes féminines correspondant à des noms de métiers – postière, avocate, pharmacienne, exploratrice. « Mais, conformément à sa mission, défendant l’esprit de la langue et les règles qui président à l’enrichissement du vocabulaire, elle rejette un esprit de système qui tend à imposer, parfois contre le vœu des intéressées, des formes telles que professeure, recteure, sapeuse-pompière, auteure, ingénieure, procureure, etc., pour ne rien dire de chercheure, qui sont contraires aux règles ordinaires de dérivation et constituent de véritables barbarismes. »
Puis l’Académie rappelle sa Déclaration du 14 juin 1984, rédigée par Georges Dumézil et Claude Lévi-Strauss et adoptée à l’unanimité. Provoquée par un décret du 29 février 1984 visant la féminisation des titres et fonctions, cette Déclaration soulignait en termes diplomatiques le caractère aberrant de la tâche confiée à la Commission de terminologie : « On peut craindre que, ainsi définie, la tâche assignée à cette commission ne procède d’un contresens sur la notion de genre grammatical, et qu’elle ne débouche sur des propositions contraires à l’esprit de la langue. » En français comme dans les autres langues indo-européennes, il n’existe aucun rapport d’équivalence entre le genre grammatical et le genre naturel. C’est à tort qu’on distingue des genres masculin et féminin : « Le seul moyen satisfaisant de définir les genres du français eu égard à leur fonctionnement réel consiste à les distinguer en genres respectivement marqué et non marqué. »
Le genre non marqué ou extensif représente à lui seul les éléments qui relèvent du masculin et du féminin : « son emploi signifie que, dans le cas considéré, l’opposition des sexes n’est pas pertinente et qu’on peut donc les confondre » – quand on dit par exemple que tous les hommes sont mortels. Le genre marqué, « féminin », est quant à lui intensif et marque une discrimination que l’usage rejette lorsqu’on tente d’imposer « cheffesse » pour féminiser le « chef » sans voir qu’on disqualifie la personne qu’on voudrait distinguer. « À la différence du genre non marqué, le genre marqué, appliqué aux être animés, institue entre les sexes une ségrégation », note l’Académie qui rappelle « qu’en français la marque du féminin ne sert qu’accessoirement à rendre la distinction entre mâle et femelle…comme on le voit dans l’Armée où le soldat parfaitement couillu qui garde le camp est « une sentinelle ».
Il faut aussi réapprendre à distinguer les noms de métier des fonctions officielles. Quant à celles-ci « L’usage générique du masculin est une règle simple à laquelle il ne doit pas être dérogé» dans les décrets, les instructions, les arrêtés et les avis de concours. Les fonctions n’appartiennent pas en effet à l’intéressé: elles définissent une charge dont il s’acquitte, un rôle qu’il assume, une mission qu’il accomplit. Ainsi ce n’est pas en effet Madame X qui signe une circulaire, mais le ministre, qui se trouve être pour un temps une personne de sexe féminin; mais la circulaire restera en vigueur alors que Madame X ne sera plus titulaire de ce portefeuille ministériel. La dénomination de la fonction s’entend donc comme un neutre et, logiquement, ne se conforme pas au sexe de l’individu qui l’incarne à un moment donné. »
L’Académie française rappelle que « Nul ne peut régenter la langue, ni prescrire des règles qui violeraient la grammaire ou la syntaxe: elle n’est pas en effet un outil qui se modèle au gré des désirs et des projets politiques. Les compétences du pouvoir politique sont limitées par le statut juridique de la langue, expression de la souveraineté nationale et de la liberté individuelle, et par l’autorité de l’usage qui restreint la portée de toute terminologie officielle et obligatoire. Et de l’usage, seule l’Académie française a été instituée la gardienne ».
Nous souscrivons.
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(1) http://blog.causeur.fr/antidote/2928-002928.html
Article publié dans le numéro 1064 de « Royaliste » – 2014
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