Le canevas de François Mitterrand

Déc 28, 1984 | Res Publica

 

Le Président de la République a-t-il une politique étrangère ? Si oui, cette politique est-elle conduite de façon cohérente et positive ?

La réponse à la première question ne laisse aucun doute. Il existe un projet diplomatique, situé dans le prolongement de celui défini par le général de Gaulle, qui s’inspirait lui-même du jeu traditionnel de la France. Pour les Capétiens, pour le Général comme pour François Mitterrand aujourd’hui, il s’agit d’affirmer l’indépendance de la France, de maintenir l’équilibre entre les puissances, de mener une politique d’alliance avec les nations petites et moyennes afin que se tisse, partout dans le monde, un réseau de résistance aux entreprises hégémoniques. Sur ces principes, l’accord est presque général, à l’exception de quelques nostalgiques de la soumission aux Etats-Unis et des inconditionnels, honteux et discrédités, de la politique soviétique.

Reste la question, plus délicate, de la cohérence et de la réussite du projet si manifestement affirmé. Depuis quelques semaines, les critiques se sont multipliées, nombre d’observateurs jugeant les initiatives présidentielles hasardeuses et sans portée. Ainsi la rencontre avec le colonel Khadafi en Crète et le voyage en Syrie. De ces critiques à l’annonce d’une dégradation du consensus sur la politique étrangère, réputé traditionnel, le pas fut vite franchi… C’est oublier qu’au temps où le général de Gaulle affirmait la politique de la France, l’opposition de droite et de gauche ne cessa d’en contester les principes et l’application. C’est oublier les diatribes que suscitèrent les décisions présidentielles dans l’affaire tchadienne, à la fin de l’été 1983. Comme de coutume, les chefs de l’opposition font aujourd’hui encore flèche de tout bois, oubliant qu’ils n’étaient pas si brillants lorsqu’ils étaient aux affaires.

PATIENCE ET VOLONTE

Faute de suivre l’opposition, doit-on louer sans réserves ? Non point, pour une raison simple qui devrait faire échapper la question diplomatique aux passions partisanes. La politique étrangère est affaire de patience, autant que de volonté. Simple à affirmer, elle est lente à aboutir. Le jeu des autres nations l’oblige à des arrêts, à des détours ou à de brusques avancées qui ne sont pas toujours compris sur le moment. Ses progrès se mesurent à l’échelle de la décennie, et plus sûrement à celle du siècle. La rencontre internationale manquée, le repli prudent, le discours flou, qui nous émeuvent tant, doivent être inscrits dans cette durée alors que nous attendons des résultats toujours décisifs, et désirons porter un jugement immédiat. Dans notre système politique, le chef de l’Etat ne peut manquer de tenir compte de cette attente et de ce désir, sans jamais parvenir à y répondre pleinement. « Obligé, alors qu’il n’a pas fini de tisser sa toile, d’en découvrir les motifs, il révèle ainsi la fragilité et la complexité du canevas, ainsi que les défauts d’exécution » dit très justement André Laurens (1).

Faut-il, dès lors, renoncer à toute opinion ? Les explications du Président (1) et le léger recul dont nous disposons permettent malgré tout de mesurer la fidélité de François Mitterrand à la politique traditionnelle de la France, et d’apprécier sa détermination :

L’indépendance de la France est clairement affirmée, de même que la volonté de maintenir un équilibre entre les impérialismes concurrents. L’intervention spectaculaire dans l’affaire des « Pershing » et le voyage à Moscou expriment ce souci, qui est essentiel pour la liberté de notre pays.

La France n’a cessé d’être fidèle à sa vocation médiatrice, notamment au Proche-Orient. C’est la paix qui est recherchée, dans la reconnaissance du droit d’Israël à vivre dans des frontières sures et reconnues, et dans l’affirmation de celui des Palestiniens à vivre dans une patrie. Le discours du Président à la Knesset, ses voyages en Jordanie et en Syrie, s’inscrivent dans cette œuvre à long terme, pour laquelle notre pays est – mieux placé que tout autre.

Quant à la solidarité avec le Tiers-Monde, quant à nos devoirs en Afrique, ils ont été constamment exprimés et traduits en actes, qu’il s’agisse de l’aide au développement, de la dénonciation de l’injustice des échanges entre pays riches et pays pauvres, ou de l’assistance militaire. Sur ce dernier point, sans que l’on puisse parler de succès décisif il est clair que la poussée libyenne a été arrêtée et que la France ne s’est pas résignée à la participation du Tchad puisque le Président a souligné qu’il « pensait toujours » à la bande d’Aouzou. Là encore, le résultat se situe dans le long terme, et dépend en partie de la solution qui sera donnée aux problèmes du pouvoir à N’Djamena…

DEFAUTS D’EXECUTION

Sur cette toile patiemment tissée, des défauts d’exécution apparaissent cependant. La France n’a pas pu ou su mener jusqu’au bout sa mission au Liban, et éviter que ce pays si proche ne tombe sous l’influence syrienne. Il est d’autre part regrettable que l’amitié franco-américaine s’accompagne de complaisances inutiles (le « cher Ron » du télégramme adressé à Reagan pour sa réélection) et d’un infléchissement par trop atlantique de notre politique de défense (3). Après son soutien vigoureux à l’installation des fusées « Pershing » en Europe, il serait bon que le Président de la République manifeste de façon non moins éclatante son opposition à l’impérialisme politique, économique et culturel des Etats-Unis, plutôt qu’un respect exagéré de leur puissance.

Echecs et faiblesses ne doivent pas faire perdre de vue l’essentiel : nous avons une politique étrangère menée par un homme qui a su comprendre (enfin !) nos institutions et s’appuyer sur elles. Grâce à l’unité de décision qu’elles permettent, grâce à l’indépendance qu’elles autorisent, un projet cohérent peut être affirmé par-delà les partis et les groupes de pression. Manque au Président ce qui manque à nos institutions : la possibilité d’inscrire une action dans le long terme, de réfléchir et d’agir à l’échelle d’une génération ou d’un siècle. Là est la faille principale tant il est vrai qu’un projet diplomatique ne peut s’accomplir dans l’incertitude et s’inscrire dans l’éphémère.

***

(1)    Cf. Le Monde du 18 décembre.

(2)    Déclarations radio-télévisées du 17 décembre.

(3)    Cf. -Royaliste- n° 413.

Editorial du numéro 417 de « Royaliste » – 28 décembre 1984

Partagez

0 commentaires