Les décisions de Donald Trump peuvent donner l’impression d’être absurdes, irréfléchies et évanescentes. Mais elles présentent au moins une caractéristique objective : elles nous montrent à quel point nos pays s’étaient habitués à ce que des pans entiers de leurs activités soient pris en charge par les États-Unis. Nous l’avons vu au sujet de la défense, en Europe comme en France. La menace américaine de se retirer du financement de l’OTAN nous a dévoilé un scénario où, livrés à nos seules forces, nous ne tiendrions pas une semaine dans un conflit de haute intensité. Cette soudaine découverte a fait trembler Bruxelles au point de lui faire accepter que les budgets de défense ne soient pas intégrés dans le sacro-saint « déficit de 3 % », montrant incidemment que ce seuil de 3 % est bel et bien défini au doigt mouillé.
Mais ce séisme ne concerne pas que la défense. Nombre d’autres domaines – pour ne pas dire presque tous – sont concernés : c’est le cas de la coopération internationale et de l’aide au développement, qui s’appuyait sur des fonds fournis par l’USAID (1), et qui s’effondre ; de la protection sanitaire mondiale, financée en grande partie par le NIH (1) ; de l’étude du climat et de la recherche en général qui s’appuient sur les gigantesques bases de données américaines mises à disposition de la communauté internationale. Or certaines de ces bases, puisqu’elles traitent de diversité, de genre, d’environnement, de biodiversité, de climat, sont en passe d’être fermées, voire détruites.
On peut s’interroger sur l’avenir des États-Unis devant une telle déferlante de décisions destructrices. Donald Trump donne deux raisons à ses décisions. La première, la plus commentée, c’est de combattre une idéologie woke dont il faut bien reconnaître qu’elle devenait surréaliste, exclusive et totalitaire. Malheureusement il sombre dans une contre-idéologie fascisante tout aussi délétère, et certainement plus dévastatrice, puisque, au contraire des militants woke, c’est bien lui qui a le pouvoir. Mais il s’agit là de politique intérieure aux États-Unis, qui ont élu démocratiquement ce président : c’est donc à eux de gérer ce problème national. De notre côté, l’important est de comprendre comment et pourquoi l’économie de nos pays est devenue à ce point inféodée à celle des États-Unis
Or, l’autre raison traite justement de cela. Selon la doctrine Trump, l’Amérique financerait ses partenaires de façon excessive et sans retour pour elle. L’exemple donné concerne évidemment la défense, dont nous avons touché un mot. Partant de cette observation, Trump accuse ensuite le monde entier d’être « méchant pour les Américains » et profiteur de leur « gentillesse ». En résumé, les États-Unis paieraient pour tout le monde et personne ne leur renverrait la balle. Si certaines conséquences de cette vision sont grotesques, comme la volonté de faire du Canada le 51e État des États-Unis, il n’est pas interdit de se demander si Donald Trump n’a pas raison dans certains domaines ; et quelles en sont les conséquences pour nos pays.
Prenons l’exemple de la NOAA (1) et du climat. Cet Institut scientifique gère un immense réseau de surveillance météo – stations à terre et bouées en mer – sur l’ensemble de la planète. Mais comme il s’occupe de climat, mot-clé devenu tabou, le voilà dans le collimateur de Trump, et son budget de gestion des bases de données lui est retiré. Or, chaque jour, ces bases de données indispensables étaient alimentées, mises en forme et stockées sur des serveurs aux États-Unis, et disponibles gratuitement pour la communauté scientifique internationale. C’est à partir de ces données mondiales que de nombreux pays (y compris le nôtre) pouvaient construire des modèles météorologiques et climatiques régionaux. Le Pérou, par exemple, suivait jour par jour l’évolution des dynamiques océaniques connues sous le nom de El Niño et était en mesure de préparer les populations à leurs conséquences potentiellement dévastatrices pour le pays, ce que ses moyens limités en recherche ne lui permettent pas de réaliser seul.
Ces échanges d’informations, ces synergies entre pays, sont bénéfiques pour le monde entier en augmentant les capacités de tous. Encore faut-il qu’il y ait échange ; or qu’a fait un pays comme le nôtre ? Il a bien sûr exploité les données américaines, comme tout le monde. Mais au lieu de profiter de cet apport pour orienter ses investissements et produire sa part originale de l’effort commun, il a réduit d’autant ses budgets de recherche. Nous sommes passés de la collaboration au parasitisme pur et simple.
Notre renoncement, confortable, à toute politique nationale, nous a permis de réduire nos budgets un peu partout. Il faudra bien sûr se demander où est allé tout cet argent qui, au lieu d’être réorienté, a fondu comme neige au soleil. Mais ce qui est sûr, c’est qu’une fois la manne américaine tarie, nous devenons incapables de survivre seuls. Merci à Donald Trump de nous rappeler, même sans le vouloir, les risques d’une coopération unilatérale.
François GERLOTTO
(1) USAID : US agency for international development ; NIH : National institute of health ; NOAA National oceanic and atmospheric administration.
Editorial du numéro 1300 de « Royaliste » – 5 mai 2025
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