Le mois des grands retours

Oct 15, 2001 | Partis politiques, intelligentsia, médias

 

 

Après les attentats du 11 septembre, les médias ont proclamé que « plus rien ne serait jamais comme avant ». Et pour prouver combien ils avaient raison, ils annoncent maintenant le merveilleux moment des grands retours – de l’Etat, de la solidarité et du patriotisme. Vraiment ? 

Il y a eu avant. Un drôle d’avant puisqu’on appelait ça la « post-modernité ». Donc un Avant qui venait après le moderne, ce qui n’empêchait le post-moderne d’être furieusement à la mode. Vous vous souvenez ? C’était le bon temps…  Le temps du « moins d’Etat ». Le temps du post-souverainisme et de la multiplication des « réseaux ». Le temps de la mondialisation qui, dans son mouvement irrésistible, rejetait les nations dans les bas-fonds de l’histoire…

Nous, à Royaliste, on expliquait que la mode post-moderne était absurde, on s’énervait, on polémiquait, on se faisait mal voir. Les gens distingués ne nous répondaient pas, ou laissaient tomber un mot qui nous condamnait : ringards !

Et puis il y a eu les attentats aux Etats-Unis.

Les journalistes de la télévision, qui avaient vu les attaques-suicide à la télévision, ont décidé que l’événement méritait encore plus que la condamnation moralisante : il fallait lui donner sa place dans le cours majestueux de l’Histoire.

Comment ? En décrétant que « plus rien ne serait comme avant », formule magnifique qui permet au récitant  médiatique de doubler sa philosophie morale d’une philosophie de l’histoire. Kant, plus Hegel, en direct sur le petit écran – quelle aubaine ! Comme la formule du « plus rien… » a beaucoup servi (en Mai 1968, après la mort de Sartre, dans l’émoi intime qui suit la lecture d’un article de Jean-Marie Colombani…) les directeurs de l’opinion se sont empressés de démontrer la radicalité des bouleversements.

Lesquels ? Ceux qui ont ouvert la voie aux « grands retours ». Faut-il comprendre que « plus rien ne serait comme avant » parce qu’il y a retour aux comportements et aux méthodes d’avant ? C’est là une dialectique très bizarre, mais moins étrange que les bonnes nouvelles récemment publiées :

Il y a retour de l’Etat !  Il suffit que le gouvernement américain adopte, à juste titre, un plan massif de soutien à l’activité économique pour qu’on se pâme. L’Etat avait-il renoncé à ses commandes militaires ? A la conquête spatiale ? A une politique commerciale extérieure d’une agressivité proverbiale ? En tous cas, sur notre continent, le prétendu « retour de l’Etat » se fait attendre puisque les dirigeants européens se déclarent tous les trois jours fidèles à la norme imbécile de l’équilibre budgétaire :  on regarde avec inquiétude l’homme qu’on étrangle, mais on continue à serrer le nœud coulant !

Il y a retour de la solidarité ! Sur leurs écrans de télévision, les gens de la télévision ont vu de braves gens qui, comme toujours face aux catastrophes, s’entraidaient spontanément. Mais point de « retour » de la solidarité dans les entreprises qui ont licencié massivement après le 11 septembre aux Etats-Unis, et qui liquident non moins sauvagement leurs employés en Europe. La « solidarité », dans les grandes entreprises, consiste à réduire au maximum les coûts salariaux et à demander en même temps le soutien immédiat de l’Etat. L’Etat doit être solidaire des entreprises, qui ne sont tenues à rien.  Mais la solidarité existe de moins en moins entre les hauts responsables et les citoyens. Aux Etats-Unis, en Europe, on ne constate pas le moindre renforcement de la protection sociale depuis le 11 septembre.

Il y a retour du patriotisme ! L’augmentation des ventes de drapeaux américains compense-t-elle les délestages massifs d’actions après la réouverture de Wall Street et les spéculations à la baisse qui assurent de confortables profits aux plus cyniques des gros boursicoteurs ? J’en doute. Et ce pauvre Jospin, qui avait balbutié un vague appel au « patriotisme économique », semble avoir renoncé à ce type de sollicitation : comment être cru, et soutenu, quand on a dirigé, pendant quatre ans, la liquidation du patrimoine économique de la nation ?

Tout sera toujours comme avant, tant que la classe dirigeante ne sera pas globalement congédiée.

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Article publié dans le numéro 779 de « Royaliste » – 15 octobre 2001

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