Tandis que les relations internationales se réorganisent brutalement sous nos yeux, divers acteurs de la vie politique et médiatique tentent de sauver les représentations du monde qui viennent de s’écrouler.
C’en est fini de la “communauté internationale” qui était censée garantir sous l’égide des Etats-Unis des principes politiques et moraux allègrement piétinés en Yougoslavie, en Irak et en Libye.
C’en est fini de la croisade idéologique menée par un “Occident” porteur de valeurs démocratiques que les Etats-Unis sacrifiaient sans états d’âme au Brésil (1964), au Chili (1973), en Argentine (1976) pour préserver leur domination.
C’en est fini de la “solidarité atlantique” dans une mondialisation qui n’a jamais empêché les Etats-Unis d’affirmer leur volonté de puissance.
Dans le cimetière des fictions que nous avions comme tant d’autres dénoncées, des marionnettistes essaient de faire croire à un retour des maléfices passés. Dénoncer Trump comme fasciste, ou comme agent du KGB poutinien, délivre de la fatigue de penser les mutations en cours. Les schémas passéistes d’une certaine gauche ne valent pas mieux que le fantasme, à l’extrême droite, d’une internationale trumpiste. Conviés par le Republican Party, Eric Zemmour d’un côté et Jordan Bardella de l’autre devraient observer avec attention le saccage des administrations publiques américaines par Elon Musk et la politique mercantiliste de Donald Trump.
C’en est fini de la dénonciation des impérialismes politico-idéologiques. Les Etats-Unis ont renoncé à leurs croisades démocratiques, la Chine ne songe plus à exporter un communisme noyé dans le capitalisme et la Russie cultive un conservatisme illibéral qui n’a rien de particulier. Pour ceux qui ont étudié les années trente et vécu la Guerre froide, le contraste est saisissant.
Nous sommes en train de vivre, comme le dit Benoist Bihan (1), un moment westphalien : les Etats nationaux font la politique de leurs intérêts à court et long terme dans la perspective d’un équilibre entre puissances souveraines, sans faire acception des idées ni des régimes. Ce moment coïncide avec une nouvelle dynamique du capitalisme prédateur et rentier.
Inspirés par une idéologie fédéraliste et mondialiste, les milieux dirigeants de l’Union européenne n’ont pas vu venir le moment westphalien. Soudain privés du très aléatoire protectorat américain, ses organes continuent de faire fonctionner un opaque système de normes, hors de la démocratie dont on brandit l’étendard. Mais l’essentiel leur échappe, à commencer par les négociations russo-américaines sur l’Ukraine et sur les conditions d’un apaisement général. Dans une ambiance de panique, les capitales ouest-européennes évoquent la guerre qui est à nos portes et alignent des chiffres impressionnants pour une défense dont on ne sait encore rien. Or il faut se défendre à la fois contre toutes formes d’agression militaire et contre l’agressivité commerciale des Etats-Unis – sans oublier la Chine. Sur le front économique, les principes de libre concurrence, de compétitivité et de libre-échange interdisent toute réplique efficace et il faudra les répudier pour ne pas être submergé. Sur le plan militaire, la Commission n’est pas compétente, sa présidente se trouve marginalisée et, encore une fois, les principes inscrits dans les traités empêchent la mobilisation industrielle. Comme si de rien n’était, la Banque centrale européenne se préoccupe de la lutte contre l’inflation et des “réformes structurelles” à accomplir…
Ce n’est pas tout. Les initiatives de la Maison blanche ont provoqué des réactions et des discussions qui débordent l’Union européenne. Le Royaume-Uni est impliqué dans le système d’alliance qui se dessine, le Canada aussi en raison des visées américaines et la Turquie demande à être associée aux discussions. La France doit quant à elle se préoccuper de ses territoires d’outre-mer.
Il faut enfin garder à l’esprit l’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne, qui déclenchera de violentes réactions. Déjà, les paysans polonais manifestent contre cette éventualité.
Cette situation complexe et dangereuse fait ressortir le rôle décisif que peut et doit jouer la France. Nous disposons d’une force nucléaire de dissuasion, d’une armée conventionnelle trop faible mais expérimentée et d’industries qui peuvent être mobilisées. Nous sommes à l’origine de l’Europe westphalienne et, malgré nos revers, nous continuons d’affirmer notre présence dans le monde entier.
Sur le continent européen, la France peut et doit présider à la mise en œuvre d’un système de défense et de protection économique tout en assurant sur son propre territoire le développement de ses capacités militaires et de ses moyens diplomatiques, en vue d’un traité européen de sécurité collective négocié à l’échelle du continent. Cela se fera par des impôts nouveaux sur les catégories aisées, par les contributions et les commandes des pays dont nous assurerons la protection, par une politique de justice sociale qui confortera l’esprit de défense chez les citoyens…
Le moment westphalien peut et doit être un moment français.
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1/ Cf. sur YouTube l’entretien accordé à la chaîne Crépuscule par Benoist Bihan.
Editorial du numéro 1296 de « Royaliste » – 9 mars 2025
Evidemment d’accord sur l’ensemble.
Mais il ne faut se faire aucune illusion. Nous sommes dirigés par des malfaisants qui travaillent non pour la France et son Peuple mais pour ceux qui les ont mis au devant de la scène.
Une bonne nouvelle tout de même: Les démarches pour une paix en Ukraine depuis le changement de Président aux Etats-Unis (et je le dis d’autant plus que je ne suis nullement un « fan » de Donald Trump).