Le nouveau cycliste

Nov 11, 2013 | Non classé

Mots clefs : circulation | Paris

 

Le Nouveau cycliste est un jeune urbain, moderne, sympa, écolo de tempérament. Il est « proche des gens », si proche qu’il représente pour le piéton une menace décomplexée et sournoise par ignorance délibérée du Code de la route.

Protégé par le feu rouge, je m’apprête à traverser sur le passage-piétons. Un léger bruit de ferraille et un cri suspendent le mouvement de ma jambe que je retire prestement de la trajectoire d’un bolide. C’est un cycliste barbu, vêtu d’un costume noir qui me lance avec un large sourire un « merci » sonore et enjoué. Si j’avais affirmé mon droit de piéton en projetant tout mon corps sur le passage réservé aux bipèdes sans plumes, je me prenais le vélocipède dans la panse mais l’homme-machine allait manger le trottoir… Comme ce n’est pas la première fois que je frôle l’expédition vers les Urgences à cause d’un pédaleur, je crois utile de réfléchir sur la conduite du Nouveau cycliste dûment équipé par certaines municipalités de grandes villes.

Ce phénomène urbain a une préhistoire parfaitement connue : lors des grandes grèves de 1995, les rues étaient bouchées et maints parisiens retrouvèrent l’usage du vélo : ils circulaient sur les trottoirs et se faufilaient entre les voitures sans que les piétons frigorifiés ne trouvent à y redire. Plus tard, le 15 juillet 2007, la municipalité (de gauche) lança le Vélib’ et les voies réservées aux cyclistes. On cria au génie car c’était à la fois une tentative de rationalisation de la conduite vélocipédique, une avancée démocratique et une initiative en vue de la transition écologique qui ne portait pas encore ce nom. Personne n’osa protester publiquement contre cette nouvelle manière de « vivre la ville » de braves gens qui faisaient la nique aux pollueurs, sans s’apercevoir qu’ils respiraient au rythme du pédalier beaucoup plus de gaz toxiques que le citadin qui va son pas.

Très vite, il m’apparut que l’abonné du Vélib’ constituait une forme avancée de cette agression douce qui est produite par l’individualisme de notre temps. Le Nouveau cycliste est bien cet individu qui estime qui estime avoir tous les droits et que ces droits doivent être reconnus hic et nunc par l’Etat, la Municipalité et toutes celles et ceux qui circulent ou stationnent sur la voie publique. J’ajoute que l’Homme- au-Vélo est le seul qui peut s’affirmer de manière aussi décomplexée. Le piéton qui traverse n’importe comment s’expose à être fauché. L’automobiliste est devenu un sujet foucaldien, surveillé par les caméras et puni par retraits de points. Le Nouveau cycliste peut, quant à lui, estimer qu’il a les mêmes droits que le piéton et par conséquent circuler sans gêne aucune sur les trottoirs avant d’emprunter sur sa machine les passages réservés aux bipèdes. Il peut – c’est souvent le cas – ignorer les voies cyclables, passer les carrefours sans tenir le moindre compte des feux rouges, zigzaguer sans jamais indiquer ses changements de direction…

Le Nouveau cycliste se croit démocrate alors qu’il impose au piéton de partager le trottoir sur lequel l’Homme au Vélo n’a pas le droit de rouler.

Le Nouveau cycliste se croit écologiste mais son comportement naturel est celui du renard libre dans le poulailler libre : contre la ferraille à deux roues, le piéton ne fait pas le poids et il s’écarte, même dans les rues piétonne où le Code de la route dit qu’il est prioritaire. Dans la jungle urbaine, c’est encore et toujours la loi du plus fort !

Le Nouveau cycliste croit qu’il a remporté une grande victoire sur l’automobile. Il ne voit pas que nous sommes en train de vivre une mutation anthropologique : la haine séculaire qui inspirait les insultes proférées par Le Piéton contre l’Automobiliste – et vice versa – est en train de s’éteindre : l’Homme à l’Auto, rendu prudent par la répression, tend à devenir moins dangereux que l’Homme au Vélo (1).

Cela dit, je ne souhaite pas la proscription du cycliste. C’est au vélocépidomane que j’en ai – au pédaleur arrogant, à l’aveugle volontaire, à l’halluciné aux mollets d’acier qui prend le trottoir pour un vélodrome. Pitié pour ceux qui se promènent nez au vent. Pitié pour les femmes qui musardent. Pitié pour les enfants.

***

(1) Toutes choses égales par ailleurs, donc sans tenir compte du taux d’alcoolémie et sous réserve des études à venir sur le cycliste bourré.

Article publié dans le numéro 1041 de « Royaliste » – 11 novembre 2013

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