Le paradis de Tony Blair

Jan 11, 2008 | la lutte des classes

Ken Loach : LES LOUVES

Cela commence en Pologne. Une société britannique recrute des chômeurs locaux sur la promesse de contrats de travail et les envoie en Angleterre : les pauvres gens paient bon prix leur transfert vers le paradis de M. Blair – où ils sont abandonnés à leur sort, sans le sou.

Dans ce métier de rabatteur, une femme fait merveille. Jeune, belle et blonde, Angie est une héroïne de la Nouvelle gauche, une superbe synthèse : stricte dans son tailleur, elle a conservé son accent cockney – et le culot qui va avec.

Mais elle a gardé sa dignité de femme. Elle refuse de se soumettre au droit de cuissage. Elle est virée à l’anglaise – sans délai. Angie a un fils qui risque de tourner voyou, des dettes, pas de mec.

Elle pourrait filer doux, mais elle a gardé son culot. Avec sa copine Rose, craintive et belle jeune femme à la peau noire, elle décide de monter sa propre boîte de recrutement sans se soucier de la légalité. Elle veut gagner de l’argent, beaucoup d’argent, pour elle et son fils – personne d’autre ne compte.

Impitoyable marchande d’esclaves, elle y réussit en vendant hommes et femmes pour des salaires défiant toute concurrence. Angie a parfois honte – elle ne veut pas que Jamie la voie faire son sale boulot – mais elle étouffe sa conscience en arrachant une famille de réfugiés iraniens à son extrême détresse. D’ailleurs, elle-même paie très cher le prix de sa détermination : elle est volée, sérieusement tabassée par des ouvriers qu’elle n’a pas pu payer et son Jamie fait l’objet d’un bref enlèvement.

Mais Angie résiste à tout : aux conseils de prudence de Rose, qui la quitte parce qu’elle ne supporte plus les ignominies de sa blonde associée ; aux leçons de son père, admirable figure de la classe ouvrière britannique, humiliée et battue par Thatcher et Blair mais qui défend fièrement la morale et le droit ; à la violence et à la peur ; à la tentation d’un bel amour. Sensuelle, courageuse, intelligente, Angie croit ou veut croire au credo ultralibéral : mieux vaut un salaire de misère – celui qu’elle procure – que pas de salaire du tout.

Cela se termine en Ukraine. Angie et Rose, la scrupuleuse qui est revenue, recrutent à tout-va. Elles sont jeunes, belles, elles promettent un emploi. L’ukrainienne leur tend une grosse poignée de billet avec un regard éperdu de reconnaissance.

Ken Loach ne se contente pas de dénoncer les exploiteurs : il détruit l’idéologie de la gauche moderniste, son culte de l’efficacité tempérée par ses petites pulsions humanitaires et ses niaiseries féministes. Si l’homme est un loup pour l’homme cela signifie que la femelle est louve, autant que le mâle et quelle que soit la couleur de son pelage.

Libérale ou social-libérale, la « société de marché », qui encourage cette sauvagerie, n’est pas réformable.

***

It’s a free world de Ken Loach, avec Kierston Wareing (Angie), Juliet Elis (Rose), Joe Sillleet (Jamie)…

 

Article publié dans le numéro 918 de “Royaliste” – 2008

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