Le Parti communiste, hier et aujourd’hui – Entretien avec Roger Pannequin

Nov 17, 1977 | Entretien, Partis politiques, intelligentsia, médias

Nous avons le plaisir d’accueillir dans nos colonnes M. Roger Pannequin, ancien membre du Comité Central du Parti Communiste. Roger Pannequin nous parle de son expérience de permanent du P.C. (1947-1953) relatée dans « Adieu Camarade » qui vient de paraître aux Editions du Sagittaire et fait suite à « Ami si tu tombes », ses mémoires de Résistance.

 

Royaliste : Roger Pannequin, pour quelles raisons avez-vous écrit « Adieu camarades » ?

Roger Pannequin : « Adieu camarades », qui couvre la période de 1944-1954, est l’explication de ma rupture avec le P.C., de ma destitution du Comité central puis de mon exclusion. Mais « Adieu camarades » tente aussi et surtout d’expliquer ce que j’ai pu connaître de l’intérieur de la machine. Je suis entré au. P.C. parce qu’ayant côtoyé dans la Résistance de nombreux militants du Parti, il m’a semblé naturel à la Libération de régulariser ma situation en m’y inscrivant. Je me trouvais alors à Lens et fus élu conseiller municipal et adjoint au maire. J’ai participé à la réorganisation de la fédération communiste alors qu’elle comportait à la Libération seulement une dizaine de militants pour un département d’un million d’habitants. Militant départemental, je connais encore mal l’appareil du Parti. Mais mes responsabilités m’amènent à aller à l’école centrale du Parti. A partir de ce moment je suis vraiment un cadre. A mon retour de l’Ecole centrale, je deviens membre du secrétariat fédéral du Pas-de-Calais, ce qui est déjà une responsabilité importante. Ensuite Je suis appelé à Paris à la section d’organisation avant de devenir membre du Comité Central. C’est là que je connais vraiment l’intérieur de l’appareil. En effet, le Comité Central est un organisme public et très vaste, mais au sein de cet organisme, la réalité du pouvoir si pouvoir il y a — appartient à la dizaine de ses membres qui sont permanents à Paris.

J’ai donc vécu la période de la Guerre froide et j’ai cru utile pour les jeunes générations de fournir un témoignage sur cette période. Durant cette période de guerre froide qui va de 1947 à 1954, le P.C. est replié sur lui-même, n’a plus la puissance qu’il possédait lorsque des ministres communistes siégeaient au gouvernement et lorsque les militants communistes se prévalaient de la présence de leurs camarades au sein du gouvernement. Dans cette période de repli, le centralisme démocratique peut fonctionner à plein. Ceci dure jusqu’à la mort de Staline qui provoque une sortie du ghetto : en 1954 communistes et gaullistes votent ensemble contre la C.E.D. et la font échouer. Mais l’expérience que j’ai vécue est aussi une expérience humaine. Je n’ai en écrivant ce livre éprouvé aucune haine à l’égard de personnages que j’attaque peut-être vivement. Je suis au contraire frappé par le fait que des hommes qui entrent dans le Parti droits, sincères, honnêtes, finissent par avoir des attitudes de crapules et à excuser les attitudes qu’ils ont, ce qui est grave.

Royaliste : Ce qui est frappant dans votre livre, c’est le flicage permanent des militants au sein du Parti.

Roger Pannequin : Le flicage est basé sur le principe « On doit toute la vérité au Parti ». Donc le Parti a le droit de vérifier si on lui dit toute la vérité. Ce flicage commence au niveau politique : tout militant du P.C. doit par exemple rendre compte à sa cellule de son activité dans une organisation syndicale. Et ceci en présence d’autres camarades syndiqués qui contrôlent et complètent le cas échéant ses propos. Et je pourrais prendre aussi bien l’exemple des organisations de jeunes ou de femmes. De là on passe au flicage individuel : le Parti est entouré d’ennemis qui cherchent à s’infiltrer dans ses rangs. Donc il doit chercher à les dépister en vérifiant si les militants n’ont pas de relations avec l’ennemi. Et avoir des relations ça peut être tout simplement dire bonjour au voisin alors que c’est un policier.

Dernière étape : le flicage intime. On doit dire les relations sexuelles que l’on a eu avec une femme ou un homme. C’est en vertu de ce flicage que Staline a fait exécuter ses collaborateurs les plus proches. C’est en vertu de ce même principe que Beria faisait espionner tous les membres du Bureau Politique, Staline compris. Dès lors c’est l’appareil qui possède tous les pouvoirs et au sein de l’appareil le chef des policiers, c’est-à-dire le secrétaire à l’organisation vers qui aboutissent tous les rapports sur le comportement de chacun. Il est aidé dans ce travail par son adjoint direct, le responsable du service des cadres.

Royaliste : Autre élément intéressant dans votre livre, l’analyse que vous faites de l’existence en 1947-1953 d’un groupe Duclos-Lecœur-Fajon appuyé sur la police soviétique de Beria et opposé à Maurice Thorez.

Roger Pannequin : Oui ce groupe a existé. Il n’est pas né au moment où Thorez malade a été emmené en 1950 en U.R.S.S. Il est né dans la clandestinité de la guerre. Rappelons-nous qu’en 1939 lorsque la guerre éclate, Thorez et Fajon tout en justifiant le pacte germano-soviétique rejoignent leur unité : ils en sont restés à la ligne de 1934 de front unique contre le Fascisme. Ce n’est pas l’avis de l’Internationale Communiste qui dénonce la guerre entre impérialismes rivaux, la guerre des riches contre les pauvres. Staline d’ailleurs croit au caractère durable du pacte germano-soviétique et fera fusiller comme provocateur un communiste allemand qui déserte dans les lignes russes en juin 1941, en annonçant que les Allemands attaqueront l’U.R.S.S. deux jours plus tard.

En octobre 1939 Raymond Guyot revient en France avec les consignes de l’Internationale. Thorez doit déserter. Duclos rejoint à Bruxelles Fried-Clément le représentant de l’Internationale et diffuse jusqu’en 1941 des consignes de fraternisation avec les soldats allemands. Les seuls actes de résistance réalisés avant 1941 par des communistes sont le fait d’isolés, coupés du centre : Tillon en Gironde, Havez en Normandie. Et le 19 juin 1941 deux jours avant l’attaque de l’U.R.S.S. par l’Allemagne ! Duclos reproche à Lecœur d’avoir organisé une grève des mineurs tournée contre l’occupant.

Moyennant quoi et pour rattraper sa gaffe, Duclos prend ultérieurement comme adjoint à Paris Lecœur, en vertu du principe « Prends comme adjoint celui qui t’a le plus combattu, comme cela tu seras plus sûr de le tenir en mains ». Dès lors le groupe est formé contre Thorez qui, sans avoir l’oreille de l’Internationale, est néanmoins maintenu à la tête du « Parti de la classe ouvrière » car lui est un mineur et non un pâtissier comme Duclos. Il se renforce de par l’hostilité Thorez-Lecoeur qui avaient une véritable répulsion physique l’un pour l’autre. Thorez se heurte à Lecœur qui en 1945 soutient une grève de mineurs alors que les slogans de Thorez sont : « Produisez, produisez ! » « Renaissance, Démocratie, Unité ». « S’unir, s’armer, se battre ! ». Thorez ira même jusqu’à provoquer à Waziers dans le Nord une réunion — anti-statutaire — des cadres syndicaux du Nord et du Pas-de-Calais pour rappeler à l’ordre Lecœur. Et au remaniement ministériel suivant Thorez fait nommer Lecœur secrétaire à la Production Industrielle… Pour lui faire appliquer la politique qu’il a combattue ! Mais lorsque, en décembre 1947 à la réunion constitutive du Kominform, les représentants de Staline accusent le P.C.F. d’avoir pratiqué une politique de collaboration de classes à la Libération, Lecœur apparait comme l’homme de Moscou. D’ailleurs, à Moscou il voit souvent Ignatiev, l’âme damnée de Beria, surtout à partir du moment où il devient secrétaire à l’organisation.

En 1950 la maladie et le départ de Thorez pour l’U.R.S.S. renforcent sa position : Jeannette Vermeersch n’avait en effet nullement l’envergure politique nécessaire pour faire la liaison Thorez-U.R.S.S. d’une part, P.C. de l’autre. Il va en profiter pour développer une tendance droitière, en 1951-1952. Face au groupe Duclos-Lecœur (auquel s’est rallié Fajon) existe une tendance outrancièrement gauchiste animée par Guyot et Billoux avec l’appui de la jeune génération du Comité Central (Kriegel-Valrimont, Pronteau, Servin, moi-même). D’où toute une série de virages successifs, brutaux et contradictoires, de la direction du Parti ballottée en 1952 entre ces deux tendances d’une ligne incertaine.

Royaliste : Quel était le degré de sujétion du Parti à l’U.R.S.S. au temps où vous étiez membre ? Y-a-t ‘il actuellement une évolution par rapport à la période 1950-1952 ?

Roger Pannequin : Remarquons d’abord que les dirigeants du P.C. n’ont jamais été chercher systématiquement leurs directives précises à Moscou. Les choses sont plus subtiles que cela. Il y a la solidarité entre partis communistes qui joue. Dans la pratique, le P.C. est constamment déchiré entre l’intérêt de l’Etat soviétique et les aspirations de la classe ouvrière française. Ce qui ne coïncide pas toujours ! Lorsque Thorez déclarait vers 1950 que jamais le peuple de France ne résisterait à l’Armée Rouge et que les ouvriers français se conduiraient face à elle comme les ouvriers polonais, tchèques ou hongrois en 1944-45, il reflétait l’état d’esprit de son électorat en même temps qu’il comblait les vœux de Moscou. Maintenant, le P.C. attaque — violemment parfois – l’Union Soviétique parce que son électorat a changé et que le système électoral actuel fondé sur la bipolarisation l’oblige à être rassurant. Mais il ne le fait pas de gaité de cœur. Et il le fait surtout parce qu’il sait qu’il ne gêne guère l’U.R.S.S. : celle-ci s’intéresse peu à l’Europe occidentale ; elle est entièrement tournée vers la Chine qui lui conteste son hégémonie dans le camp communiste mondial. Mais sur le fond, rien n’est changé à l’allégeance du P.C.

Royaliste : Le P.C. n’est-il pas condamné à rester immuablement totalitaire tant qu’il conservera le centralisme démocratique ?

Roger Pannequin : C’est certain. Le centralisme démocratique, c’est la négation même de toute société fondée sur la responsabilité. Dans l’armée, celui qui s’engage connait les règles d’avancement, sait dans quelles conditions on devient sous-officier ou officier : il y a des règles d’avancement, de carrière. Ce n’est pas le cas au P.C. où chacun des cadres accède à une responsabilité par choix de celui qui est situé immédiatement au-dessus de lui. Ainsi je suis arrivé au Comité Central par le choix de Lecœur avec qui j’étais à la mairie de Lens et à la fédération du Pas-de-Calais. Je n’ai pas eu d’autre mérite. Vingt autres cadres dans la Fédération du Pas-de-Calais auraient pu faire aussi bien l’affaire. Et le sort d’un cadre dépend de celui de l’homme qui l’a promu. Dans l’armée, un capitaine demeure toujours capitaine, même si le colonel change. Ce n’est pas vrai au P.C. Chaque cadre vit dans l’angoisse de savoir quel est le véritable maitre du moment. Duclos ? Thorez ? Il cherche des appuis et des garanties où il le peut. C’est ainsi que Lecœur chargé en 1950 d’organiser un Parti puissant dans les entreprises s’est très vite rendu compte qu’il n’y arriverait pas car la ligne était fausse. Il a redouté — à bon droit — de servir de bouc émissaire et il a donc cherché des appuis à Moscou auprès de Beria, par Ignatiev interposé. C’est cela la vie de l’appareil !

Royaliste : La promotion d’hommes de valeur comme Paul Laurent ou Roland Leroy n’a-t-elle pas fait évoluer cet état de fait ?

Roger Pannequin : Non. J’ai bien connu Roland Leroy lorsqu’il était modeste militant de la Seine-Maritime puis membre de la commission de contrôle financier. Il avait alors beaucoup d’esprit critique. Mais lorsque je l’ai vu accéder au bureau politique, je me suis dit : « Il est foutu ». En prenant des responsabilités élevées, le militant aliène la partie la plus riche de sa personnalité, se soumet à la loi, à la morale du Parti. L’esprit de parti fait disparaître en lui les barrières qui, dans la vie courante, le retiennent de se conduire comme un salaud, même s’il en a envie. Il est broyé.

Royaliste : L’atmosphère que vous décrivez est effrayante. Comment se fait-il que dans ces conditions, le P.C. puisse recruter et compter actuellement 600 000 adhérents ?

Roger Pannequin : Il y a en fait deux P.C. D’abord celui des communistes qui passent et restent un moment par sentimentalité ou pour ne pas lâcher les copains, et qui finissent par se lasser. C’est ainsi qu’il y a plusieurs millions d’anciens communistes, une rotation permanente. Et il y a l’appareil surtout formé des permanents employés par le Parti, les syndicats et les municipalités communistes, soit plusieurs milliers de personnes. Le noyau dur des cadres représente environ 40 000 individus. C’est le noyau qui, à la demande, peut fournir une salle pleine à M. Marchais. Pourquoi devient-on et demeure-t-on membre de l’appareil ? Avant tout parce que l’on est grisé par le pouvoir que l’on a : on est attendu à la gare de la ville de province où l’on se déplace ; on mange chez le chirurgien ou le professeur de faculté du coin, on est raccompagné en voiture.

Royaliste : Etes-vous toujours communiste ?

Roger Pannequin : Tel que le P.C. existe, sûrement pas. Mais je reste un homme de gauche. Le rêve que j’ai fait dans les corons de mon enfance demeure ; j’ai connu mon père et ses amis : ils étaient sûrement aussi intelligents que les professeurs de faculté que j’ai pu connaître par la suite. Dans la distribution des chances, il y a quelque chose qui ne va pas : la démocratie n’est pas réelle. Ce problème, l’humanité finira par le résoudre, même si nous, nous ne voyons pas la solution. Mais à la condition que les gens prennent leurs responsabilités et ne les délèguent pas à un parti. Cette délégation de conscience et de pouvoir fausse les problèmes.

C’est vrai pour le P.C.F. Depuis trente ans en fait, tous les grands mouvements de la classe ouvrière se sont déclenchés en dehors de lui et il a pris le train en marche en 1968 comme en 1947 et 1953. Mais c’est vrai, bien que dans une moindre mesure, de tous les autres partis politiques.

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Entretien publié dans le numéro 257 de « Royaliste » – 17 novembre 1977

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