Le parti des Politiques et l’avènement de l’Etat moderne (1) – Chronique 169

Août 16, 2022 | Res Publica

 

 

Nous commémorons cette année le 450ème anniversaire de la Saint Barthélémy. Commencés dans la nuit du 23 au 24 août 1572, les massacres de huguenots se poursuivent à Paris jusqu’au 29 août et s’étendent à la France entière. Quatre mille personnes sont tuées dans la capitale et dix mille en province.

Ces opérations criminelles, d’une violence inouïe, ne procèdent en rien de la “sauvagerie” populaire. Elles ne résultent pas non plus d’une violence inhérente au pouvoir politique. L’analyse des événements, sur lesquels les historiens divergent, est à inscrire dans la dialectique politico-religieuse qui ensanglante la seconde moitié du XVIe siècle et qui engendre, par l’action d’Henri de Navarre et du parti des Politiques, l’Etat moderne. Avant de s’interroger sur l’implication du pouvoir royal dans les massacres d’août 1572, il faut évoquer la pensée et l’action des principaux personnages de la monarchie royale à la veille et pendant les premières guerres de Religion.

Dans son incarnation, cette monarchie tombe en état de faiblesse au moment où les Français commencent à se déchirer. La mort accidentelle d’Henri II, le 10 juillet 1559 laisse le trône à François II, alors âgé de 15 ans. De santé fragile, le jeune homme confie le gouvernement à François de Lorraine, duc de Guise, soldat prestigieux qui prend le commandement de l’armée, et à son frère le cardinal de Lorraine qui a la charge des finances, de la diplomatie et de la justice. Ce choix, qui marque la défaite du connétable de France, Anne de Montmorency, est doublement catastrophique : la réalité du pouvoir politique tombe entre les mains d’un clan ; celui-ci mène une très brutale politique d’austérité budgétaire et durcit considérablement la répression du protestantisme engagée par Henri II. Le 23 décembre 1559, l’exécution en place de Grève d’Anne du Bourg, magistrat au Parlement de Paris, à la suite d’un procès en hérésie, provoque en réaction la conjuration d’Amboise (mars 1560), montée par des gentilshommes protestants qui voulaient enlever le roi pour le soustraire à l’influence des Guises.

C’est dans ce climat d’extrême tension que Catherine de Médicis révèle son sens politique. Après la cruelle répression de la conjuration d’Amboise, la mère du jeune roi, bien avertie des thèses réformées et favorable au dialogue avec les protestants, est encore plus convaincue que la violence des Guises renforce la contestation sociale et religieuse. Elle favorise la nomination de Michel de l’Hospital comme chancelier de France (1er mai 1560) et obtient des mesures d’apaisement lors de l’assemblée des conseillers qui se tient à Fontainebleau du 21 août à la fin du mois. Les Guises restent cependant au gouvernement et le camp protestant continue de s’organiser sous l’égide du prince de Condé. La mort de François II, le 5 décembre 1560, est une nouvelle épreuve qui conduit à l’institution d’une régence puisque le roi Charles IX n’a que dix ans. Sa mère obtient d’Antoine de Bourbon, prince de sang et roi de Navarre, qu’il ne demande pas la régence ; elle se voit reconnaître le statut de “gouvernante de France”. Catherine n’est pas régente en titre, mais elle exerce la puissance souveraine et peut s’appuyer sur l’un des plus grands hommes d’Etat de notre histoire.

Michel de l’Hospital fonde son engagement politique sur une pensée qui procède d’une longue et forte méditation théologique et morale. Le Chancelier est un homme inspiré par la foi chrétienne, persuadé que l’Histoire se fait à la grâce de Dieu, par l’amour du Christ. Son engagement politique trouve son sens dans l’espérance de l’accomplissement des temps, qui commande d’œuvrer pour la paix entre les hommes. Comme Erasme, Michel de l’Hospital juge que le refus de la paix contredit l’Évangile.

Fidèle aux enseignements de l’Evangile tels que l’Eglise romaine les interprète, Michel de l’Hospital dénonce en 1557 une papauté qui depuis mille ans masque sous une piété d’apparence ses “fraudes”, ses “rapines” et ses crimes et qui, à vouloir régenter le domaine temporel par des guerres incessantes, néglige ses devoirs spirituels. Ce jugement conforte le gallicanisme, qui a été réaffirmé par le concordat de Bologne conclu le 18 août 1516 entre François Ier et Léon X.

La foi du Chancelier s’appuie sur de solides convictions philosophiques, en accord avec l’esprit du temps tel que l’exprime l’humanisme érasmien. Homère, Horace et Virgile lui sont familiers mais c’est Cicéron, “le plus grand des docteurs”, qui inspire son éthique. Pour lui, la vertu consiste à exercer son office dans la justice sans vouloir forcer le cours de l’histoire et accumuler des biens qui suscitent l’envie. Le stoïcisme antique vient conforter l’attitude chrétienne, qui accueille sans trouble les faveurs et les disgrâces. Il va permettre à Michel de l’Hospital de faire face à la montée des passions mortifères, dans une France livrée depuis trop longtemps à une corruption qui frappe d’indignité la noblesse et les magistrats.

Même le roi est regardé avec une lucidité empreinte de pessimisme. “Le roi a, selon lui, une faveur changeante, qui est semblable à l’abeille qui, dans la campagne, se pose sur les fleurs, délaissant toujours à jamais celles qu’il a semblé le plus aimer. Il se laisse influencer par les flatteurs, et il ne faut pas mettre son espérance dans son amitié […]. Le pouvoir, en ces instants de doute, paraît participer du mouvement de la société globale vers le pire et l’inversion, parce que le roi n’écoute qu’à contrecœur les fortia concilia et “…se laisser plutôt séduire par le discours flatteur et brillant” (1)”.

A l’opposé des faiblesses du roi et des passions courtisanes, Michel de l’Hospital se dévoue pleinement à l’Etat, au-delà des clivages et des opinions partisanes, parce que l’Etat bien servi est le moyen de l’amitié entre les hommes, dans l’imitation de l’amour du Christ pour tous les hommes. Cette politique de l’amiticia est à l’opposé de celle de Machiavel estimant que le prince doit se faire craindre et éviter la neutralità qui risque de compromettre son autorité. Pour le Chancelier, le roi de France doit sans cesse agir en faveur du maintien de la concorde et de la justice dans le royaume, ce qui implique une politique de modération des rapports de force et de réformation des institutions.

La volonté réformatrice de Michel de l’Hospital est concrétisée par l’Ordonnance d’Orléans du 31 janvier 1561 qui vise pour l’essentiel à réprimer les abus de l’Eglise et à réorganiser le service de l’Etat et, en février 1566, par l’Ordonnance de Moulins qui réforme le système judiciaire. La politique de concorde se traduit par l’édit de Saint-Germain du 31 juillet 1561 qui accorde une large amnistie aux protestants puis par le colloque de Poissy (9 septembre – 14 octobre 1561) lancé par Catherine de Médicis et Michel de l’Hospital dans l’espoir d’un rapprochement entre théologiens protestants et catholiques.

L’échec du colloque de Poissy ne décourage pas la reine-mère et son chancelier qui tentent, par l’édit du 17 janvier 1562, d’apaiser “les troubles et séditions pour le faict de la Religion”. Les assemblées calvinistes restent interdites dans les villes mais peuvent se tenir librement hors les murs et les prières domestiques sont libres en tous lieux. Les synodes et les consistoires doivent se réunir avec l’autorisation et en présence d’un officier royal. Quant aux prêtres catholiques, ils sont priés de cesser leurs attaques contre les Réformés. Les institutions de la nouvelle religion sont donc reconnues et protégées, dans le cadre d’une politique de coexistence confessionnelle et de contrôle étatique de l’expression religieuse.

L’édit de janvier 1562 est un échec parce que les catholiques intransigeants n’en acceptent ni les intentions, ni les modalités. Perpétré par les hommes du duc François de Guise, le massacre de Wassy ouvre, le 1er mars 1562, la longue période des guerres de Religion. Avec l’appui de Catherine de Médicis, le Chancelier poursuit sa politique d’unité et de concorde. Elle aboutit à la paix de Longjumeau (25 mars 1567) qui met fin à la deuxième guerre de Religion – peu avant la démission du Chancelier, le 1er février 1573. Michel de L’Hospital ne parvient plus à maîtriser les Guises, qui ont relancé la guerre en juin 1567 selon la volonté papale d’extirpation de l’hérésie. Dans un mémoire (2) rédigé en 1570, il réaffirmait à la première ligne sa conviction : “Le but de la guerre, c’est la paix”.

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(1) Denis Crouzet, La sagesse et le malheur, Michel de l’Hospital, chancelier de France, Champ Vallon, 1998, page 207.

(2) Mémoire sur la nécessité de mettre un terme à la guerre civile, en ligne sur Gallica : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k86540p.r=

 

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