Commis par les hommes du duc de Guise, le massacre de Wassy plonge la France dans les guerres de Religion. La monarchie royale se trouve alors confrontée à un déchaînement de violence qui n’est pas seulement le résultat tragique de l’extrémisme catholique. Le parti ultra-catholique est lui-même porté par une vague de fond, qui naît dans les années vingt du XVIe siècle.

Nous gardons les beaux souvenirs de la Renaissance humaniste, des châteaux de la Loire, de Léonard de Vinci au Clos Lucé, des Dames galantes de Brantôme, de Rabelais… Mais le rire de Rabelais cache une angoisse profonde, qui marque toute l’époque. La foi chrétienne est générale mais dans l’Eglise catholique secouée par la protestation luthérienne et dans la France peu à peu pénétrée par les idées de Jean Calvin, l’expression religieuse prend des tournures que nous avons aujourd’hui du mal à imaginer.

Certes, les catholiques continuent de participer aux manifestations rituelles qui nous sont familières – messes, processions -, mais un fort courant de l’opinion est saisi d’une angoisse eschatologique. Le discours de la fin des temps est alimenté par les astrologues – tel Nostradamus –  qui annoncent des pestes, des séismes et le règne de l’Antéchrist en prélude au retour du Christ. Ces astrologues, qui puisent dans la Bible, sont considérés comme des prophètes et la diffusion rapide des idées protestantes paraît confirmer la proximité de l’Apocalypse.

Lorsque les camps religieux se forment, la violence du parti ultra-catholique puise dans plusieurs décennies d’attente angoissée et se déchaîne sur le mode mystique. Il ne s’agit pas simplement de tuer des chrétiens devenus ennemis. Le devoir sacré commande de purifier la terre des hommes, des femmes et des enfants qui se sont livrés aux forces du Mal, à Satan. Face à l’hérésie, le Dieu d’une partie de l’opinion catholique manifeste sa colère par les monstres qui apparaissent dans le ciel et par les prodiges qui émerveillent les vrais croyants. La violence qui s’exaspère traduit cette ambiance eschatologique. Les corps des hommes sont brisés, dépecés ; les femmes sont violées, les enfants tirés du corps de leur mère sont massacrés comme ceux de Ninive car les tueurs vont chercher leur inspiration dans la Bible. Il faut que chaque hérétique soit renvoyé à sa pourriture, à son inhumanité. Les catholiques éradicateurs mènent une guerre sainte, dans l’esprit de la croisade.

La violence huguenote n’est pas en tous points identique car elle procède de la théologie réformée. Elle vise les signes et les manifestations du culte catholique : hosties profanées, images détruites, statues brisées, prêtres molestés, processions attaquées. Ces actes entraînent des répliques et le cycle des vengeances fait couler de plus en plus de sang. Le déclenchement de la phase militaire entraîne des massacres des deux côtés.

Dans la France qui se déchire, l’Etat cherche à rétablir l’unité du royaume, faute d’avoir pu maintenir la paix civile. Telle est la politique suivie par Catherine de Médicis. Le projet est d’autant plus difficile à mettre en œuvre que la haute noblesse s’est divisée – François de Guise dirige le camp des ultra-catholiques, le prince de Condé est le chef des protestants – alors que les princes et les ducs sont censés donner l’exemple du service de l’Etat.

Disposant de peu de moyens, la reine-mère et son fils sont menacés par les deux camps. Les huguenots organisent la Conjuration d’Amboise en mars 1560. Deux ans plus tard, François de Guise occupe Fontainebleau avec ses troupes et oblige la famille royale à revenir à Paris le 27 mars 1562 pour s’assurer que les détenteurs de la légitimité royale resteront sous le contrôle du parti catholique. Pendant la deuxième guerre de Religion, le prince de Condé essaie de s’emparer de la famille royale lors de la Surprise de Meaux en 1567.

Trop faibles pour imposer leur volonté unitaire, Catherine de Médicis et Charles IX sont obligés de louvoyer entre les camps mais ils relancent dès que l’occasion s’en présente des initiatives apaisantes. Après l’échec du Colloque de Poissy et de l’ordonnance de janvier 1562, la mort de François de Guise permet l’ouverture de négociations avec le prince de Condé, alors prisonnier, et la signature, le 19 mars 1563, de la Paix d’Amboise. La liberté de conscience est garantie mais l’exercice du culte réformé n’est autorisé que dans les maisons des seigneurs pouvant exercer la justice haute ou disposant d’un fief, les autres fidèles peuvent pratiquer leur culte dans une seule ville par bailliage – mais le culte est interdit à Paris. C’est une régression par rapport à l’ordonnance de janvier 1562 mais Catherine de Médicis cherche à contenir la violence en associant Louis de Condé à cette tâche salutaire – qui sera diversement appréciée par la population réformée. Le parti catholique est quant à lui rassuré mais la reine-mère n’oublie pas que divers moines et curés prêchent contre la famille royale, dénonçant Antoine de Bourbon, lieutenant général du royaume, comme le nouvel Achab et Catherine de Médicis comme la nouvelle Jézabel (2).

L’autorité royale doit donc employer la ruse pour briser les logiques catholique et protestante de guerre civile, tout en manœuvrant sur le théâtre européen pour maintenir une politique étrangère indépendante. La tâche est d’autant plus redoutable que la guerre civile provoque comme toujours l’intervention de puissances extérieures qui exploitent les divisions internes pour atteindre leurs propres objectifs.

Lors de la signature du second traité du Cateau-Cambrésis (3 avril 1559) entre Henri II et le roi d’Espagne Philippe II, la France avait conservé Calais et les trois évêchés de Metz, Toul et Verdun mais renoncé à ses interventions en Italie où l’influence de l’Espagne devint prépondérante. En signe de paix, Elisabeth de France, fille aînée d’Henri II, avait épousé Philippe II mais la France, après ce traité humiliant, restait sous la menace d’un empire qui englobait l’Espagne, l’Italie et les Pays-Bas.

Les guerres de Religion viennent compliquer la situation diplomatique et militaire. Dans les Flandres, le roi d’Espagne est confronté à la révolte des Pays-Bas qui éclate en avril 1566 en raison de l’arrogance de Philippe II et des progrès du protestantisme dans des provinces où sévit l’Inquisition. La politique de répression menée par le duc d’Albe à partir d’avril 1568 marque le début de la Guerre de Quatre-Vingt Ans et du rôle de Guillaume de Nassau, prince d’Orange, dans le mouvement de libération. Face à l’Espagne, la France peut trouver des alliés dans les Flandres. Elle peut aussi chercher une entente avec l’Angleterre, qui redoute la puissance espagnole tandis que Philippe II, qui se pose en champion du catholicisme, appuie les Guises et se fait le bras armé de la papauté. En Espagne, la politique extérieure et la politique religieuse se confondent. En Angleterre et en France, les enjeux religieux sont soumis aux intérêts du royaume.

(à suivre)

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(1) Denis Crouzet, Les guerriers de Dieu, La violence au temps des troubles de religion, vers 1525-vers 1610, Préface de Pierre Chaunu, Avant-propos de Denis Richet, Les classiques de Champ Vallon, 1990.

(2) Antoine de Bourbon est le Premier prince de sang, père du futur Henri IV ; Achab est selon la Bible un roi impie qui épousa la phénicienne Jézabel et fit construire un temple en l’honneur du dieu Baal que son épouse vénérait. Achab et Jézabel se heurtèrent violemment aux prophètes, qui condamnèrent le couple royal.

 

 

 

 

 

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