Nous avons souvent dénoncé le mélange télévisé de l’information et du divertissement (on parle d’infotainement) mais nos anciennes critiques doivent être actualisées en raison des formes nouvelles et extrêmes prises par le phénomène.

Chercheuse au CNRS et spécialiste des médias, Claire Sécail vient de livrer en quelques dizaines de pages le résultat d’un travail méthodique d’observation des émissions “BTP” (Balance ton poste qui n’est plus diffusée) et “TPMP” (Touche pas à mon poste) produites par Cyril Hanouna.

Qu’il soit de bonne ou de mauvaise qualité, le divertissement ne relève pas du jugement politique – sauf quand il sert de prétexte à la diffusion d’une idéologie. Tel est le cas. Cyril Hanouna semble être un populiste radical, qui construit ses émissions sur le choc frontal entre le Peuple, pur et bon, et les élites totalement incapables et corrompues. Dans son spectacle, celui qu’on appelle “Baba” est tout à la fois l’arbitre, l’accusateur public et l’avocat des victimes. Il instruit ses procès médiatiques devant un plateau d’employés qui doivent supporter les humiliations du maître des lieux et qui donnent des avis tranchés sur les invités. Le peuple dont “Baba” se proclame le représentant est composé par les téléspectateurs qui balancent leurs impressions sur les réseaux sociaux.

Les débats sont parodiques, les insultes volent en escadrille, les rumeurs vont bon train, le manichéisme est érigé en principe, mais les responsables politiques ont cru devoir paraître dans ce cirque. Mélenchon s’y est brûlé les ailes, Marlène Schiappa en a tiré quelque parti et l’extrême droite, chaleureusement accueillie, peut s’y pavaner et y croiser les hautes figures du complotisme.

L’auto-promotion de Cyril Hanouna en médiateur bienveillant lors de la révolte des Gilets jaunes fut une farce sinistre dont Claire Sécail démonte les ressorts. Cyril Hanouna, qui cultive la haine des élites et en vit grassement, a ménagé l’Elysée, flatté le gouvernement et cherché à apaiser le conflit. Qu’il s’agisse du peuple des sondages, du peuple des manifestants ou de la foule des victimes, les citoyens ne sont que la matière première d’un système qui produit une très rentable notoriété – qu’il s’agisse de capital financier ou de capital symbolique.

Le Capital est le maître-mot de l’affaire. Cyril Hanouna peut insulter les parlementaires, chouchouter l’extrême droite et humilier ses employés parce qu’il est lui-même un employé couvert par son patron. Rien ne serait possible sans le richissime Vincent Bolloré, promoteur d’Eric Zemmour et de toute l’extrême droite par le biais de CNews, qui sert Dieu et Mammon sans le moindre problème – parfois même en costume breton – et qui trace les limites au-delà desquelles l’extrême populisme se mue en servilité. TPMC : Touche pas à mon Capital ! – tel est le vrai nom de des émissions qu’il fait diffuser.

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1/ Claire Sécail, Touche pas à mon peuple, Seuil/Libelle, janvier 2024.

Article publié dans le numéro 1271 de « Royaliste » – 25 janvier 2024

 

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