L’affrontement entre les deux camps n’est classique qu’en apparence : la droite est en cours de transformation profonde alors que la gauche continue de vivre au 20ème siècle.

Les principaux partis politiques français sont entrés sur la voie d’une transition qui s’est opérée pendant la campagne présidentielle, qui va se poursuivre pendant la campagne des législatives et qui se confirmera lors des prochaines élections municipales et régionales.

Cette transition affecte la gauche de manière encore marginale : effondrement des formations trotskistes à la présidentielle, constitution d’un Front de gauche qui reste fragile mais qui peut, à terme, participer à une restructuration de la gauche plus sérieuse que celle offerte par les Verts. Pour l’essentiel, le Parti socialiste affiche la bonne conscience de la « génération morale », prépare de nouvelles réformes des mœurs et campe sur des positions sociales-libérales – qui vont être bousculées par l’effondrement de la zone euro.

C’est la droite qui va rapidement muter. Le discours xénophobe de Nicolas Sarkozy et ses attaques  contre les élites n’ont pas réussi à récupérer les voix du Front national. Au contraire, elles ont justifié la partie classique du discours de Marine Le Pen sans convaincre les électeurs qui votent frontiste parce qu’ils souffrent des effets de la mondialisation et de la déstructuration de la société française que le sarkozysme a aggravée par ses attaques contre les enseignants, les magistrats, les chercheurs, les syndicalistes et finalement tous les « corps intermédiaires. Le fondé de pouvoir de l’oligarchie, qui justifie la guerre sociale par l’idéologie ultralibérale, ne pouvait convaincre toute une population reléguée dans les périphéries urbaines désindustrialisées qu’il allait défendre les frontières et rompre avec les élites. Mais la défaite d’un homme qui n’a jamais compris sa fonction n’entraîne pas un retour à la normale dans la principale formation de droite. Comme le montre Gaël Brustier (1) « La stratégie de Patrick Buisson a créé un  » bloc historique  » compact, culturellement unifié et mû par un antisocialisme radical. En quelques semaines, la droite et l’extrême droite françaises ont donc accéléré leur mutation, retardée pendant des décennies par Jacques Chirac et… Jean-Marie Le Pen »  – le premier refusant toute entente avec le Front national, le second refusant la conquête du pouvoir. Désormais, nombre de candidats de l’UMP seront tentés de s’entendre avec le Front national, qui leur tend la main : ce qui s’esquisse pour les législatives risque fort de se confirmer aux prochaines élections locales. Cette évolution va conforter Marine Le Pen qui développe un discours certes dangereux mais très efficace puisqu’elle cultive à la fois la xénophobie en réponse à l’insécurité culturelle et le rejet de l’ultralibéralisme.

Face à la menace représentée par cette nouvelle droite, la gauche croit pouvoir mobiliser les foules par des condamnations morales et par des références au fascisme et au nazisme. Ses dirigeants ne se  rendent pas compte que ces répliques, assénées depuis bientôt trente ans, n’ont pas empêché le Front national de progresser. Il progressera encore plus vite si la gauche continue à lui abandonner la dénonciation de l’ultralibéralisme et si elle tente à nouveau de compenser ses redditions sur le front économique et social par des réformes de mœurs : quoi qu’on en pense sur le fond, celles-ci sont anxiogène pour toute une population qui a déjà beaucoup de mal à s’y retrouver dans les identités personnelles et familiales, à cause de la remise en cause ou de la perte du statut social et par suite des diverses formes de recomposition familiale.

Tant que la « gauche morale » se comportera d’une manière qui est ou paraît immorale dans le domaine des mœurs et dans celui de la gestion des affaires publiques, le Front national progressera. Tant que la « gauche sociale » passera des compromis avec l’ultralibéralisme et acceptera les contraintes imbéciles et ruineuses de l’austérité, le Front national progressera. Pour le Parti socialiste, pour le Front de gauche, le changement, c’est maintenant !

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(1) Gaël Brustier, « Entre l’UMP et le FN, les digues sont rompues ». Le Monde du 17 mai 2012.

Article publié dans le numéro 1014 de « Royaliste » – 28 mai 2012

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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