Il y a un mois, esquissant un bilan de l’action entreprise depuis 1981, j’avais montré que le pessimisme était sans raison (1). Je maintiens aujourd’hui cette analyse, que les récents succès de l’Etat dans le domaine du commerce extérieur viennent confirmer, et dont je me permets de rappeler les principaux points. D’abord, l’adhésion renforcée et maintenant presque’unanime, aux institutions fondées par le général de Gaulle ; ensuite l’apaisement de la querelle scolaire après la bataille que l’on sait, et la disparition du problème lancinant posé par le Parti communiste ; enfin le caractère positif de nombreuses réformes et les résultats heureux, quoique partiels, dans la conjoncture économique.
Ces acquis, bénéfiques pour la nation tout entière, risquent d’être remis en cause par la campagne électorale. Selon une loi que nous avons souvent observée, chaque camp va radicaliser sa lutte, d’autant plus passionnément, d’autant plus abstraitement aussi, que les projets se sont estompés sur le fond, que les frontières entre les camps sont devenues plus floues que par le passé. Dans sa stratégie, dans son programme, chaque parti aurait le sentiment de ne plus être lui-même s’il ne suivait pas la logique du tout ou rien. La droite veut tout, tout le pouvoir, toute la vérité politique, toute la France, et la gauche, acceptant d’avance sa défaite, préfère n’être rien plutôt que d’avoir à changer son attitude, son langage, et modifier en quelque point que ce soit sa définition.
TRISTES PERSPECTIVES
Ce jeu n’est ni la conséquence de la bêtise, de la méchanceté, ni seulement d’ambitions vulgaires. Comme souvent dans notre société, personne n’a vraiment voulu cela, et bien peu sont conscients du danger. On croit jouer au ballon entre gens de bonne compagnie en oubliant la charge de dynamite qu’il contient et le risque pour les spectateurs. L’image vaut ce qu’elle vaut. L’important est de recenser les stocks d’explosifs détenus par chacun des camps, sans nourrir aucune illusion quant à la portée de l’avertissement.
A droite, on manipule allègrement l’explosif social et politique. La doctrine libérale, hâtivement recopiée dans les manuels du 19ème siècle et repeinte aux couleurs d’un reaganisme mythique (2) sera destructive quel qu’en soit l’usage. Si elle est appliquée après mars prochain, elle accroîtra la violence de l’économie, détruira les organisations protectrices, laissera les individus sans défense. Si elle ne l’est pas, la déception sera une fois de plus à la mesure des illusions entretenues, et la surenchère extrémiste trouvera là de nouveaux arguments.
Pour éviter ce piège, la droite envisage d’exploiter le marché de la peur, qui ne coûte pas cher financièrement. Là encore, c’est un programme de dynamitage. Ni les mesures « sécuritaires », ni l’atteinte aux droits sociaux et civiques des immigrés n’auront d’effets visibles. Loin d’apaiser les esprits, cette politique développera les fantasmes, et poussera aux pires extrémités, d’autant plus facilement que le pays aura été déçu par la politique économique.
A ces perspectives inquiétantes, il faut ajouter les menaces qui pèsent sur les institutions. Que le président de la République soit obligé de se soumettre, selon le vœu de M. Chirac, ou de se démettre si M. Barre parvient à ses fins, les conséquences seront désastreuses pour les institutions : nous aurons soit une prééminence du Premier ministre, simple chef de la majorité, soit un quinquennat de fait puisque la nouvelle opposition retournera contre le nouveau Président sa tactique à chaque élection législative.
La gauche socialiste, quant à elle, n’est pas plus rassurante. Tandis que ses adversaires utilisent des grenades pour dégager le terrain, elle creuse des mines, en toute bonne conscience évidemment. Non seulement le Parti socialiste annonce sa défaite et l’organise, comme je l’ai déjà souligné, mais il semble s’en satisfaire : la cure d’opposition lui paraît nécessaire pour reprendre des forces, pour refaire son identité. Le traitement implique qu’on garde la chambre, toutes portes fermées. Depuis le mois de mai, les socialistes ont rigoureusement observé l’ordonnance qu’ils ont eux-mêmes rédigée : oubli du gouvernement et de sa politique, l’un et l’autre n’étant pas leur affaire, « ancrage à gauche » (avec l’accord de Michel Rocard qui aura décidément tenu tous les discours) dans le refus de tout rassemblement de majorité présidentielle.
CONDUITE D’ÉCHEC
Le Parti socialiste perdra donc la bataille, parce qu’il a choisi de la perdre. Tel est son intérêt à court terme qui risque, sauf réaction de dernière heure, de se traduire par un double sacrifice. Celui du gouvernement actuel, qui sera battu malgré son bilan, ce qui est tout de même un comble. Celui du président de la République, qui verrait sa marge de manœuvre disparaître en cas de victoire totale de la droite parlementaire. Encore une fois, ce n’est pas la perversité ou l’ambition des hommes qu’il faut dénoncer, mais la logique destructrice d’un régime politique inachevé. Déjà, en 1967, le parti gaulliste avait décidé de « s’ancrer à droite » pour ruiner le centrisme, empêchant ainsi le général de Gaulle d’achever son œuvre. De même, en 1969, ce sont les notables conservateurs, M. Giscard d’Estaing en tête, qui ont fait échouer le référendum. Le même phénomène se reproduit aujourd’hui, qui paralyse et menace directement le Président de la République. A-t-il encore la possibilité de briser ce processus mortel ?
***
(1) Cf. l’éditorial du numéro 435.
(2) Cf. Marie-France Toinet, « L’Etat américain » in « Le Débat » numéro 36, sept. 1985.
Editorial du numéro 437 de « Royaliste » – 20 novembre 1985
0 commentaires