Pour la campagne des législatives, les chefs des principales tendances ont choisi la prudence des rentiers. Il s’agit pour eux de cultiver le capital électoral amassé pendant la présidentielle… ou de sauver les meubles. Cette attitude contraste avec l’ambiance de crise généralisée.

Surtout que rien ne bouge ! Un nouveau gouvernement s’est installé mais on se garde bien d’annoncer les grands projets du quinquennat. Il s’agit de ne pas inquiéter les électeurs. D’ailleurs, Emmanuel Macron s’occupe de tout : guerre russo-ukrainienne, présidence de l’Union européenne, crise des hôpitaux – et c’est lui qui a conçu le plan anti-inflation que le gouvernement présentera après les élections. Au vu des capacités prospectives et disruptives d’un tel génie, comment ne pas voter pour Lui, par le truchement d’humbles candidats adoubés par l’Elysée ? Notons tout de même que le parti nommé par antiphrase “Renaissance” est une formation zombie, un parti-entreprise conçu comme rouage de la machinerie présidentielle. Souvenons-nous qu’il a fait preuve, sous l’appellation LREM, de son insondable médiocrité pendant le précédent quinquennat.

La droite libérale, à l’enseigne des Républicains, a quelque peu disparu des radars. Grâce au Figaro, nous avons pu suivre les efforts de Valérie Pécresse pour rembourser ses dettes de campagne. C’est maintenant chose faite et l’état-major du parti va pouvoir démontrer qu’on peut continuer la marche vers l’abîme avec une comptabilité en ordre. Tant que cette droite n’aura pas renoué avec la tradition du libéralisme d’État – d’un État serviteur de l’intérêt national – elle comptera ses plaies, ses bosses et ses déserteurs. La rente, dans cette bourgeoisie à tous égards versaillaise, fond comme neige au soleil.

Le Rassemblement national est un parti heureux, qui voit grossir son magot à chaque élection présidentielle. Rentière du malheur, Marine Le Pen fait campagne sans se fatiguer : une tape sur les immigrés, une tape sur Emmanuel Macron, une ode au pouvoir d’achat. C’est avec ce récitatif qu’elle espère obtenir un groupe parlementaire à l’Assemblée nationale. Ce qui n’aurait rien de scandaleux, au vu des suffrages obtenus en avril. Sans oublier les molles concessions à l’européisme et les bas calculs, soulignons une fois de plus la tragédie du lepénisme : un parti incapable de prendre le pouvoir et de l’exercer reçoit d’innombrables suffrages populaires en brandissant un programme qui ne répond en rien aux exigences de la justice sociale. C’est ainsi que le Rassemblement national se présente comme l’un des aspects les plus massifs et les plus désespérants de l’impuissance générale.

Le parti zemmourien, Reconquête, tente de capitaliser les modestes résultats de la présidentielle. Son chef se présente dans une circonscription qui englobe Saint-Tropez, ce qui renvoie aux souvenirs de vacances de l’ancien journaliste et surtout à la sociologie de ses électeurs. Si l’on distingue dans cet électorat ceux qui ont voté Zemmour parce qu’il parle de la France, ceux qui ont de la sympathie pour ce polémiste grimé en historien et les racistes patentés, on s’aperçoit que Monsieur Z. est venu confirmer par sa campagne ce qu’on savait déjà : les partisans de la guerre civile assortie de nettoyage ethnique sont une toute petite minorité, heureusement plus experte dans la culture du fantasme que dans le maniement d’armes.

La gauche cartellisée sous l’étiquette Nupes est une union de circonstances. Elle a pour objet de préserver ou de constituer des rentes financières, car c’est surtout aux élections législatives que les partis peuvent s’assurer un financement public. D’où les arrangements tactiques, derrière un programme dont les députés socialistes et écologistes vont s’affranchir à la première occasion.

Du moins, Jean-Luc Mélenchon nous aura bien divertis avec son idée de se faire élire comme Premier ministre sans se présenter lui-même. Les candidats qui acceptent ce tour de malice en se plaçant sous son égide sont devenus des faire-valoir d’un homme de plus en plus saisi de vertige plébiscitaire. On ne peut même pas le placer dans le courant de la démocratie plébiscitaire puisque la France insoumise est dirigée de manière autoritaire. Jean-Luc Mélenchon est un candidat autoproclamé et non désigné par les militants, il n’y a pas de congrès et les dirigeants ne sont pas élus. Les nombreux changements de ligne ont été décidés par le patron et ses affidés en pleine opacité, comme chacun a pu le constater début mai : l’accord en vue de la Nouvelle union populaire a été soumis au vote du conseil national du Parti socialiste, du comité fédéral des Verts, du comité national du Parti communiste mais les militants de la France insoumise n’ont pas été consultés. Mélenchon étant devenu son propre parti, il peut mener de lui-même à lui-même de passionnants débats et gérer par lui-même sa rente symbolique.

Faut-il désespérer de tous et de tout ? Pour sauver la politique et le débat démocratique, il y a dans les marges des candidates et des candidats – ceux de la République souveraine, ceux de la Gauche républicaine et socialiste – que nous retrouverons dans les combats à venir.

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Article publié dans le numéro 1236 de « Royaliste » – 5 juin 2022

 

 

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