“L’Église est dans l’État”

Jan 26, 2024 | Non classé

 

 

La plupart des Français ont oublié le gallicanisme, doctrine complexe et fluctuante qui a orienté les relations entre l’État et l’Église pendant plusieurs siècles. De nouveaux éclairages s’imposaient.

Le “gallicanisme” supporte les guillemets car ce néologisme a été forgé au début du XIXe siècle, lors de la querelle entre Bonaparte et Pie VII. Sous la monarchie capétienne, on invoquait les “libertés de l’Église gallicane”, affirmées au cours d’un long cheminement.

Le sempiternel cliché de l’alliance du trône et de l’autel masque les violents conflits qui opposent l’État royal et la papauté. Le coup d’envoi est donné en 1303 par Philippe le Bel, qui ordonne à une forte troupe d’enlever Boniface VIII — c’est l’attentat d’Anagni —, et la lutte se prolonge pendant la période monarchique de la Révolution française avec la Constitution civile du clergé. Elle reprend en 1801 lors de la signature d’un concordat qui garde force de loi jusqu’en 1905.

La dispute multiséculaire porte sur les relations entre le pouvoir temporel et l’autorité spirituelle établie à Rome et qui tend à empiéter sur les États, souverains dans leur ordre. La Pragmatique Sanction de 1438 et le Concordat de Bologne (1516) tentent d’établir un modus vivendi qui disparaîtra pendant les guerres de Religion et qui, ensuite, ne parviendra pas à assurer la stabilité des relations entre l’État royal et le pontife romain.

Tel qu’il s’affirme sous la monarchie capétienne, le gallicanisme a une source théologique puisqu’il puise son argumentation dans le conciliarisme qui, au XVe siècle, affirme la supériorité des conciles sur les papes. Les Français en ont conclu que les libertés de leur Église nationale devaient être protégées par l’État contre les empiétements romains — sans qu’il soit besoin de préciser que ces libertés gallicanes n’avaient pas à être affirmées envers l’État royal ! Le gallicanisme ecclésiastique s’efface devant le gallicanisme royal tandis que persiste un gallicanisme parlementaire.

L’idée selon laquelle le pape est la tête d’un corps mystique nettement distinct du corps politique conduit à assigner au pape le seul domaine de la foi et à soumettre les actes romains — décisions conciliaires, bulles, etc. — à l’appréciation de l’État royal selon des procédures complexes d’enregistrement. C’est ainsi que les décisions du concile de Trente n’ont jamais été reçues en France, au motif que certaines d’entre elles portaient atteinte aux libertés de l’Église gallicane. Par exemple, celles-ci ne permettaient pas que les évêques relèvent de la juridiction pontificale.

Les spécificités du gallicanisme sont à comparer aux relations entre les pouvoirs politique et religieux dans les pays voisins. Il y a un gallicanisme à l’anglaise affirmé par Jacques Ier lors de sa controverse avec le cardinal Bellarmin ; le Saint-Empire voit se développer avec Febronius un gallicanisme conciliariste, et il y a une influence française en Italie à la fin du XVIIIe siècle. Dans l’affirmation de sa souveraineté étatique, la France n’a jamais été séparée de l’Europe…

L’étude du gallicanisme, éclairée par les savantes analyses des chercheurs réunis au Saulchoir en janvier 2022, est indispensable pour comprendre la genèse d’une laïcité qui porte encore la marque gallicane lorsqu’elle s’affirme en 1905.

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1/ Sous la direction de Catherine Maire, Bernard Bourdin et Patrice Guéniffey, Le “gallicanisme” : une singularité française ? Éditions du Cerf, 2023. Cf. sur la chaîne YouTube de la NAR, l’entretien que Bernard Bourdin a accordé à Bertrand Renouvin.

Article publié dans le numéro 1271 de « Royaliste » – 26 janvier 2024

 

 

 

 

 

 

 

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