La campagne de vaccination accuse un retard de sept semaines et ce retard va croissant. Tel est le constat diffusé par les médias le 25 mars, à quelques heures d’un Conseil européen consacré pour partie à la crise sanitaire.
Sept semaines ! Comme pour souligner l’ampleur du désastre, les chaînes de télévision diffusent régulièrement des reportages sur le retour progressif à la vie normale aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, grâce à la vaccination massive de la population. 43,5{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} des Britanniques et 26{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} des Américains étaient vaccinés le 24 mars, alors que les principaux pays de l’Union européenne se tenaient entre 9 et 10{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163}… Là-bas, des morts et des hospitalisations évitées, ici les effets meurtriers de la pénurie de vaccins.
Dans le style relâché du start up management, Emmanuel Macron a reconnu que “nous, on n’a pas été assez vite, assez fort là-dessus”. Et d’ajouter : “on a eu tort de manquer d’ambition, j’allais dire de folie”… “on est trop rationnel peut-être”. On prétend à la lucidité mais on s’égare dans une psychologie de bazar parce qu’on est incapable de reconnaître que les défaillances meurtrières de Bruxelles tiennent à la conception même de l’Union européenne.
Les beaux discours sur le “grand marché de centaines de millions de consommateurs”, la “forteresse euro”, “l’Europe-puissance” et “l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde” annoncée il y a vingt ans, masquent une réalité prosaïque : ce qu’on a construit en rêvant tantôt au Saint-Empire, tantôt aux Etats-Unis, c’est l’empire des normes. La bureaucratie bruxelloise travaille sur dossiers, veille à ce que toutes les cases des questionnaires soient remplies et passe des contrats au moindre coût (1).
Le résultat de cette gestion apparemment impeccable, effectuée après le passage des groupes de pression dans le respect scrupuleux des normes, c’est le désastre dont les peuples sont accablés, c’est un “chiffrage” en nombre de morts et c’est l’impossible décompte de toutes les souffrances, physiques et psychiques, éprouvées depuis un an par d’innombrables citoyens.
Ces lenteurs procédurales et ces budgets parcimonieux sont typiques de la « gouvernance » à l’allemande obsédée par l’ordre formel et la discipline austéritaire. Il en résulte un immense désordre : des Etats achètent des doses à l’extérieur de l’Union, on retrouve par hasard 29 millions de flacons en Italie, les contrôles aux frontières se font sans la moindre concertation – par exemple entre l’Allemagne et la Moselle. Quant à la gestion au moindre coût, elle relève de la farce sinistre : la Commission européenne a voulu faire des économies sur le prix des doses mais les retards accumulés représentent déjà une perte globale de 123 milliards !
La macronie apporte à ce désordre sa propre touche chaotique en décidant dans la panique, le 15 mars, de cesser pendant plusieurs jours la vaccination avec AstraZeneca, puis en annonçant le 18 mars un nouveau confinement qui incite à vivre dehors, assorti d’une circulaire aberrante retirée en catastrophe et de la fermeture de magasins sans danger pour la clientèle… tandis que l’épidémie flambe dans les écoles restées ouvertes.
L’orgueil d’Emmanuel Macron, les divisions du gouvernement, la peur d’une révolte populaire, le jeu des groupes de pression, les recommandations de McKinsey et nos classiques pesanteurs bureaucratiques constituent les principaux ferments d’une anarchie soulignée par de pitoyables techniques de communication.
L’Union européenne a tout raté. Elle n’était pas le bon échelon pour lutter contre la pandémie : une crise sanitaire mondiale exigeait une concertation mondiale des Etats suivie de mobilisations nationales organisées par les autorités politiques de chaque pays. Au lieu d’articuler autant que possible le mondial et le national, on a misé sur une riposte “européenne” sans comprendre que la Commission serait nécessairement inefficace puisqu’elle est prisonnière du fameux “marché”. Aujourd’hui, Bruxelles dénonce les manœuvres d’AstraZeneca et rend ce groupe responsable de la lenteur de la vaccination sans voir que la Commission est impuissante face aux entreprises qui jouent le jeu impitoyable du capitalisme.
L’empire bruxellois des normes s’est construit contre tout pouvoir étatique. Or c’est le pouvoir étatique, essentiellement politique, qui est seul capable d’affronter les situations exceptionnelles. La crise sanitaire, immédiate et brutale, exigeait des réponses rapides et fermes sous forme de fermeture temporaire des frontières nationales, de réquisitions, de nationalisations et de financements massifs, selon un plan gouvernemental soumis au Parlement. Mais la norme bruxelloise est conçue contre le dirigisme et le protectionnisme. Quant au fameux “plan de soutien”, il est trop timide en comparaison des mesures prises par les Etats-Unis et la Chine et trop lent dans sa mise en œuvre. Il demeure problématique puisque la Cour constitutionnelle allemande a suspendu la ratification de ce plan au lendemain d’un sommet européen qui n’a servi à rien.
L’Union européenne est une mécanique régressive et mortifère dont il faudrait au plus vite s’affranchir.
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(1) Le Blog de Descartes, 6 mars 2021.
Editorial du numéro 1208 de « Royaliste » – Mars 2021
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