Le discrédit s’est installé partout et ceux qui arrivent au pouvoir porté par cette vague veulent accentuer le discrédit des institutions dont ils ont la charge. Voici une sémiologie de la tronçonneuse.

A l’inverse d’un clergé médiatique qui s’emploie à classer les événements selon les catégories du Bien et du Mal, il faut se faire sémiologue pour interpréter les signes et les systèmes de signes qui émanent de la vie politique et sociale. Christian Salmon, que nous suivons de livre en livre, excelle dans ce travail.

Le recueil d’articles qu’il publie (1) éclaire plus particulièrement l’attitude de Xavier Milei, l’homme à la tronçonneuse, et de Donald Trump qui fait aujourd’hui son triomphal retour. Les grossièretés et les scandales de ces personnages provoquent sidération et scandale, mais ils ne sont pas les premiers à avoir transformé la politique en spectacle. Nicolas Sarkozy s’y est employé avec un succès aussi certain qu’éphémère et Emmanuel Macron joue, par ses célèbres changements de costume, tous les personnages du musée Grévin, de Tom Cruise à Zelinsky. Après Barack Obama, qui travaille avec Netflix, Bill Clinton a écrit un roman au titre évocateur (Le Président a disparu) qui va inspirer une série télévisée. De fait, aux Etats-Unis comme en France, la fonction présidentielle est absorbée par la Communication confiée aux spin doctors.

Les candidats populistes sont tous portés par des mouvements de fond alimenté par le discrédit général qui frappe la politique et les grands médias. Et les plus excessifs, parmi eux, sont simplement l’expression d’une vague encore plus forte qu’ailleurs. Le paradoxe, c’est que ce pouvoir grotesque – étudié par Michel Foucault dans la Rome impériale – assoit sa légitimité, écrit Christian Salmon, “non pas sur le crédit qu’il inspire et que l’élection lui confère, mais sur le discrédit qu’il jette sur tous les rouages et toutes les sources de légitimité du système démocratique”.

Les ultralibéraux français, qui invoquent la tronçonneuse argentine et clament qu’il nous faut imiter Donald Trump et Elon Musk en lutte contre la bureaucratie, voudraient bien déclencher puis récupérer un extrémisme protestataire qui est latent dans notre pays. Ces apprentis-sorciers ne voient pas la logique antipolitiques qui est à l’œuvre chez les bouffons d’outre-Atlantique (2) ; ils se laissent prendre à des effets de manche qui masquent des pratiques beaucoup plus classiques dans la gestion des affaires publiques. Mais que chacun prenne au sérieux l’avènement d’un pouvoir grotesque. Il est à cet égard urgent de méditer la réflexion de Mikhaïl Bakhtine (1895-1975), auteur d’un ouvrage de référence sur Rabelais : “Une certaine carnavalisation de la conscience précède toujours, en les préparant, les grands revirements”.

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1/ Christian Salmon, L’empire du discrédit, Les Liens qui Libèrent, octobre 2024.

2/ du même auteur, La tyrannie des bouffons, LLL, 2021. Cf. Royaliste, 1266.

Article publié dans le numéro 1289 de « Royaliste » – 28 novembre 2024

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