Est-il vraiment nécessaire de commenter la rentrée politique ? Ce serait perdre son temps. Les clivages politiciens sont connus, et ne se modifieront pas pendant les mois qui viennent. Aussi, peu importe que M. Poniatowski voie dans Michel Rocard un « Bibi Fricotin amiral », ou que Georges Marchais situe François Mitterrand à l’extrême droite. Quant aux supputations sur les candidatures (Debré ou Chirac, Rocard ou Mitterrand) elles ne touchent pas l’essentiel bien que les décisions prises à l’intérieur des partis ne soient pas dépourvues de signification.

Enfin, il est inutile de revenir, du moins pour le moment, sur le bilan du septennat : l’échec est évident et la majorité des Français s’en rend compte, mais semble se résigner à la réélection de V. Giscard d’Estaing, ressentie depuis longtemps comme une fatalité. Comme si, pressentant la fin d’un monde, chacun tenait la main vers la seule planche visible, tout en la sachant pourrie …

LOGIQUE DU LIBERALISME

Ce sentiment n’est pas trompeur, et le réflexe n’a rien d’étonnant. Nous vivons, dans l’angoisse mais sans convulsions dramatiques, la fin d’une époque et probablement la fin d’une société. C’est bien ce que traduisent les affrontements politiques et syndicaux, par-delà le jeu des ambitions et le conflit traditionnel des idéologies. Face à une crise trop partiellement analysée et aux effets inattendus, inexplicables par les schémas classiques, la tentation est grande de nier le mouvement en se repliant vers des «bases» solides. C’est sans doute ce qui explique l’étonnante régression intellectuelle et politique du Parti communiste, et l’aveuglement stratégique de la C.G.T. : faute de pouvoir tirer un profit politique de la crise, Marchais renforce son parti tandis que Séguy, incapable de peser sur les décisions économiques, mène classiquement des batailles perdues d’avance.

Que faire, en effet, face à la rigoureuse logique de la « compétitivité » ? Dès lors que ses principes sont acceptés, il faut s’y plier, ou s’exposer à être brisé. D’où la tragédie vécue par les travailleurs de Manufrance : le nouveau capitalisme condamne ce type d’entreprise. D’où la révolte des marins-pêcheurs, qui tentent de résister aux lois inflexibles de la concurrence mondiale. Ainsi, tour à tour, chaque secteur est contraint de « s’adapter » ou de disparaître. Les syndicats n’y peuvent rien, et l’opposition politique non plus. Les uns, comme Rocard et Edmond Maire, tentent de « suivre le mouvement », en le rattachant vaille que vaille à leur tradition intellectuelle. D’autres, comme Marchais ou Debré, essaient d’organiser la résistance, soit pour une classe sociale, soit pour la nation tout entière.

Mais leurs analyses partielles n’aboutissent qu’à des stratégies inopérantes. « S’adapter » au monde qui se crée conduit à remettre le destin de la communauté en d’autres main s; opposer au « mondialisme » un simple projet industriel servi par un Etat centralisé ne permet pas de répondre aux problèmes posés par l’éclatement de notre société et par l’écrasement de notre culture. A quoi bon faire la guerre économique, s’il faut y perdre son âme ?

Ainsi, l’opposition politique et syndicale vit-elle dans l’aveuglement que provoquent les certitudes vieillies : ses idées et ses projets appartiennent au passé, elle est condamnée à l’impuissance et à la division. Malgré ses échecs et sa fragilité personnelle, V. Giscard d’Estaing n’en apparaît que plus complètement maître du jeu. Dès avant 1974, il avait compris les règles du nouvel ordre économique mondial et décidé de s’y plier. Depuis sept ans, il applique inexorablement son plan, qui correspond d’ailleurs à son idéologie et satisfait les intérêts de sa caste. Il veut soumettre la France aux règles du libéralisme multinational, imiter ceux qui réussissent en espérant recevoir un peu de leur richesse ; inflation et chômage sont des sacrifices consentis sur l’autel de la compétitivité, et ce grand bourgeois voit avec satisfaction la classe ouvrière se perdre dans le vaste groupe indifférencié des salariés, tandis que les éléments révolutionnaires se marginalisent.

LE CHOIX

Pour battre V. Giscard d’Estaing, il faut d’abord montrer qu’il fait une terrible erreur. Car la compétitivité est un leurre, et le « mondialisme » une illusion. Les sociétés multinationales ne respectent pas les règles du libéralisme, et notre soumission aux prétendues règles d’une concurrence sauvage est en train de nous ruiner. Cette erreur économique, qui poursuit ses ravages depuis sept ans, se double d’une erreur politique : le « mondialisme » n’existe pas, mais seulement le choc des intérêts nationaux ; en renonçant à protéger son propre pays, V. Giscard d’Estaing le soumet à la domination de l’impérialisme américain, qui tire sa force d’une réalité nationale, et non de principes libéraux jamais appliqués.

Il s’agit donc de faire un choix brutal : ou bien le « libéralisme avancé » et ses conséquences -chômage, aliénation économique et culturelle- ou bien l’orientation vers un nouveau projet de société. Tel est l’enjeu des élections présidentielles, par-delà l’affrontement classique des formations politiques.

Nous aurons à démontrer, pendant cette campagne électorale, que le choix peut être fait, que l’alternative est possible, qu’une autre société est concevable. Il ne s’agit plus seulement de témoigner et de critiquer, mais de combattre et de proposer autre chose que ce qui existe. Les royalistes sont des Français comme les autres, des citoyens qui ont le droit et le devoir de participer au débat sur l’avenir de notre pays. Ils n’entendent pas présenter un schéma institutionnel ou une nouvelle idéologie, mais donner forme et cohérence au projet d’une société de justice et de liberté. Dans son esprit et dans son ambition, la campagne des royalistes sera révolutionnaire.

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Editorial du numéro 321 de « Royaliste » – 11 septembre 1980

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