« J’ai mal à la France », disait récemment M. Chinaud, tandis que d’autres du même bord, annoncent chaque jour que notre pays court à la catastrophe. Nous aussi, nous avons mal quand nous voyons la France laissée dans un si triste état après sept ans d’un « libéralisme avancé » conçu et appliqué, pour son plus grand profit, par la caste dont M. Chinaud fait partie.
C’est dire que le parti de l’argent, hier tout dévoué à M. Giscard d’Estaing, aujourd’hui peureusement rassemblé derrière Jacques Chirac, ne mérite ni notre confiance ni nos suffrages. Quant au R.P.R., nous ne savons plus très bien s’il fait campagne pour devenir le principal parti de l’opposition parlementaire, ou la future aile droite d’un gouvernement de coalition. Le flou des intentions tant reproché au Parti socialiste, semble être la chose la mieux partagée.
Mais là n’est pas l’essentiel. Hors de toute considération tactique, il nous faut tenter d’apprécier, sans procès d’intention et sans verser dans l’illusion lyrique, les réalisations et les projets du nouveau pouvoir. Dans le domaine économique, il est incontestable que les mesures prises le 3 juin (augmentation du SMIC, du minimum vieillesse, des allocations familiales et de logement) sont à la fois conformes à la justice et nécessaires à la relance de notre économie. Et ce n’est pas ici que l’on se plaindra de l’impôt supplémentaire sur les gros contribuables et des prélèvements annoncés sur les profits des banques et des sociétés pétrolières.
LES CONDITIONS DE LA REPRISE
Nulle logique de catastrophe ne se cache derrière ces mesures à vrai dire peu surprenantes. Mais il serait vain d’en attendre une reprise fracassante de l’économie française. Car une politique de relance n’aura d’effets bénéfiques sur l’activité et l’emploi que dans le cadre d’une économie protégée des ravages commis par une concurrence extérieure sauvage. Cela, personne n’ose le dire, pas même Jacques Chirac qui s’est laissé prendre au piège d’un « libéralisme » de mauvais aloi. Pourtant il est certain que, sans cette protection, l’augmentation de la demande favorisera les produits importés qui dominent de plus en plus notre marché intérieur. Une politique de protection, tarifaire ou non, devrait donc être définie dès maintenant : mettant fin aux scandales commerciaux dont nous sommes victimes à l’intérieur du marché commun, décourageant la politique agressive des Etats-Unis, du Japon et des multinationales, elle permettrait la reconquête du marché français sans pour autant entraver nos propres exportations. Après tout, les Etats-Unis et le Japon ne donnent-ils pas l’exemple d’un protectionnisme rigoureux, qui n’a jamais contrarié leur stratégie de conquête des marchés européens ?
Mais il faudra aussi qu’une nouvelle politique industrielle accompagne cette nécessaire redéfinition de nos relations économiques extérieures : une politique de protection serait insuffisante si les grandes entreprises capitalistes continuaient à installer des unités productives à l’étranger pour jouer le jeu de la « compétitivité ». Nous avons souvent démontré que cette « compétitivité » était en pratique illusoire, et qu’elle ne devait pas devenir une règle absolue, à laquelle seraient sacrifiées nos capacités productives nationales et l’emploi des Français. D’où l’intérêt d’une politique de nationalisations, qui empêcherait le rachat de nos firmes et qui permettrait le contrôle de nos investissements à l’étranger. Là encore, trop de lenteur nuirait.
QUELLE DECENTRALISATION ?
Dans le domaine des grands projets, la décentralisation va prendre une place particulièrement importante dans les prochains mois. Nous nous féliciterons évidemment de cette « révolution tranquille » (c’est l’expression de … Pierre Mauroy) qui fera naître des assemblées régionales dotées de larges pouvoirs. Deux ambiguïtés demeurent cependant :
— la première a trait à l’existence d’un grand parti centralisé, gouvernemental, à la volonté de puissance bien affirmée. Le risque est que, par le biais de son appareil et de ses notables, par désir de bien « tenir» le pays, ce parti vide de tout contenu l’autonomie juridiquement réalisée. Les féodalités politiciennes qui existent déjà, à Marseille comme à Bordeaux, se multiplieraient et la centralisation partisane remplacerait celle de l’Etat. Enfin, la question de l’arbitrage, essentiel pour que cohérence et convergence demeurent, ne pourrait être résolue par un gouvernement politiquement lié à certaines assemblées régionales et contesté par d’autres.
— la seconde ambiguïté concerne l’avenir de notre système éducatif. Sans entrer dans les polémiques actuelles, sans faire de procès d’intention, force est de constater que les déclarations gouvernementales sur le « grand service public de l’éducation » sont contradictoires avec le projet de décentralisation. Si le gouvernement souhaite une large décentralisation, il ne peut vouloir en même temps intégrer l’enseignement libre ; bien au contraire, l’affirmation des autonomies régionales devrait s’accompagner d’un respect de l’enseignement confessionnel et d’une complète décentralisation de notre système éducatif qui à terme devrait conduire à la suppression du ministère de l’Education nationale. Malheureusement, les déclarations confuses de M. Savary laissent penser que certains sont plus attachés aux vieilleries laïcardes qu’au respect d’une liberté essentielle.
Ces brèves remarques sur les ambiguïtés du programme gouvernemental nous empêchent de donner un chèque en blanc au Parti socialiste. S’il nous paraît nécessaire d’éliminer les candidats du parti de l’argent, et ceux qui ont défendu l’invasion de l’Afghanistan, c’est en fonction des tendances et des personnalités que nous accorderons notre soutien aux candidats des autres partis. Car, sous Giscard comme sous Mitterrand, la liberté demeure notre critère. Qu’il s’agisse de l’Etat, de la nation, ou des diverses communautés qui y vivent.
***
Editorial du numéro 340 de « Royaliste » – 18 juin 1981
0 commentaires