Je veux rappeler ici deux séries d’événements qui se sont déroulés en France et dans le monde le dimanche 16 et le lundi 17 mars. Je les note dans un désordre voulu, tels qu’ils ont pu être observés par un citoyen immergé dans son bain médiatique quotidien.

La première série concerne les élections municipales. Déclarations des chefs de partis et de tendances, pour se réjouir ou sauver la face. Débats entre les mêmes. Langue de bois générale. Supputations sur le remaniement gouvernemental et le changement d’attitude de Nicolas Sarkozy. Sa montre. Ses lunettes de soleil. Jean-Claude Gaudin rescapé à Marseille. Bertrand Delanoë qui triomphe à Paris… Tout ce qui fut dit et montré le dimanche soir fut repris dans la journée du lundi par des commentateurs d’autant mieux informés qu’ils sont manifestement à tu et à toi avec Laurent, Valérie et des François de droite ou de gauche.

Les événements de la deuxième série ont été classées, comme on dit à la télévision, « dans le reste de l’actualité » et expédiés en trente seconde, au mieux en trois minutes : l’effondrement d’une grosse banque américaine ;  une nouvelle injection de liquidités, massive, par la Réserve fédérale ; le dollar à 1, 60 euros ou presque ; la récession américaine qui se confirme ; le pessimisme sur la croissance française ; la hausse du baril de pétrole.

Ceci pour le dimanche. Et le lundi, après avoir revu les images de foules joyeuses saluant des vainqueurs épanouis, après avoir écouté une fois de plus un chef de l’UMP assurant qu’on allait poursuivre les réformes pour répondre à l’impatience des Français, on apprenait que vingt soldats français avaient été blessés au Kosovo, dans la partie serbe de Mitrovica.

Sans avoir étudié l’économie politique, un citoyen ordinaire pouvait constater une aggravation considérable de la crise financière et s’informer sur les conséquences de la catastrophe en cours dans la presse écrite – qui  publie une information mieux équilibrée avec un souci louable de pédagogie. Ce même citoyen pouvait aussi trouver dans son quotidien favori des éléments d’appréciation sur les désordres au Kosovo et les compléter en consultant un ou deux sites sur la Toile. Je tiens à souligner, lourdement, que les dirigeants politiques et les journalistes-vedettes disposent quant à eux des ouvrages, études et documents de travail qui leur permettent d’anticiper nombre d’événements.

Mes remarques banales sur une mise en relation simpliste de deux séries d’événements aboutissent à un constat hallucinant : les tragédies qui se déroulaient en Europe et aux Etats-Unis les 16 et 17 mars n’ont pas fait l’objet du moindre débat entre les dirigeants politiques présents sur les plateaux de télévision. Et les « grands professionnels » des médias se sont bien gardés de demander à ceux qui dissertaient sur la nature et le rythme de l’action présidentielle comment empêcher que la crise financière et monétaire ne vienne dévaster notre pays déjà ébranlé. Ils ne leur ont pas demandé non plus comment sortir les soldats français des pièges dans lesquels MM. Chirac et Jospin les ont placés et dans lesquels M. Sarkozy les tient enfermés.

Je ne néglige pas le résultat des élections municipales et je n’oublie pas que le débat démocratique ne se déroule pas seulement sur les plateaux de télévision. Mais le Parlement et la Place publique donnent le même spectacle stupéfiant : l’opposition est demeurée inerte lorsque Nicolas Sarkozy a décidé de placer à Kandahar des Mirage qui servent sous commandement étranger dans une guerre perdue menée par des stratèges imbéciles ; elle n’a pas dénoncé l’absurde optimisme du gouvernement face à la crise financière ; elle n’a pas interpellé le supposé président de la République et les ministres concernés le jour où nos soldats ont été blessés.

La classe dirigeante a disjoncté. Nicolas Sarkozy n’est que le représentant, caricatural, d’une microsociété qui se moque de lui mais qui est accaparée comme lui par les signes extérieurs de sa puissance et de sa richesse. Les membres de ce club dissertent sur la mondialisation et la soumission au réel, mais ils sont totalement indifférents à la réalité des misères, des souffrances et des morts dont ils sont responsables. Un jour ou l’autre, ils devront pourtant répondre à ceux qu’ils ont abandonnés.

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Editorial du numéro 923 de « Royaliste » – 31 mars 2008.

 

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