Pourquoi le Front national éprouve-t-il de la sympathie pour le Front Islamique du Salut ? Sous le paradoxe apparent, une rigoureuse cohérence.

Surprise début janvier lorsque « Minute-La France », publication dirigée par un membre éminent du Front national, prend nettement parti pour le Front Islamique du Salut au lendemain du premier tour des élections algériennes. Coup de folie ? Pas du tout : invité quelques jours plus tard à « L’Heure de vérité », J.-M. Le Pen déplore le coup d’État intervenu à Alger et regrette « que la démocratie ne s’exprime pas dans toute sa rigueur ». Il faut donc regarder l’argumentation de plus près !

Le premier argument est polémique : « quand on voit qui, en France, est contre les islamistes, on ne peut qu’être pour ». Ce qui tendrait à démontrer que l’Islam n’est pas l’ennemi prioritaire du Front national, contrairement à ce que sa propagande affirme par ailleurs : les démocrates de droite et de gauche, les libéraux (ici définis comme amis de la liberté) ont des idées et des attitudes tellement fausses que leurs adversaires doivent bénéficier d’un préjugé favorable. A ceci près que la complaisance pour le totalitarisme islamique ne joue pas pour le totalitarisme communiste.

Le deuxième argument découle très logiquement du credo populiste : la victoire du F.I.S., écrit « Minute-La France », « c’est la victoire de la djellaba nationale contre le jean cosmopolite. Grâce au FIS, les Algériens vont ressembler à des Arabes et de moins en moins à des Français ». Ces deux phrases sont exemplaires de ce que Pierre-André Taguieff nomme le racisme différencialiste : le Front national ne se soucie pas de hiérarchies biologiques mais de différences culturelles ; il ne veut pas exterminer tel ou tel peuple mais rassembler chacun selon sa particularité ethnoculturelle (les Arabes avec les Arabes, sur une terre arabe, les Juifs en Israël, la France aux Français etc.) ; son obsession est d’éviter la perte d’identité dans le contact avec autrui, dans le mélange des groupes et le mariage des êtres. Haine du « cosmopolitisme » et du « métissage généralisé », qui vient de l’angoisse éprouvée à l’idée que « trop de » ressemblance ne permettrait plus de se reconnaître entre soi et de se connaître soi-même. D’où l’importance du vêtement qui (faute de mieux !) permet de repérer sans coup férir un Arabe et de le distinguer nettement d’un Français. L’identité ainsi exprimée rassure, de même que le radicalisme religieux ; il faut et il suffit que chacun soit conforme à son image, et que cette image soit conforme à son essence – l’Algérien doit ressembler à l’Arabe qu’il est, et non au Français qu’il n’est pas. Une telle assertion récuse l’idée courante selon laquelle le racisme naîtrait de la peur de l’autre : c’est au contraire la peur du même qui pousse à concevoir les différences comme des absolus.

Le troisième argument, stratégique, procède logiquement de cette phobie du mélange : quand les Algériens de France seront à nouveau conformes à leur nature, le fossé se creusera entre Arabes et Français, et les premiers repartiront chez eux. Or c’est bien ce que réclame le F.I.S., adversaire résolu de l’intégration, et aussi soucieux que le Front national de préserver l’intégrité nationale, religieuse et culturelle des Algériens – tant doctrinale que vestimentaire.

Nous avons donc affaire à deux angoisses identiques (face au mélange, à la mixité), au même refus de la liberté des personnes, à la même négation de l’universel (confondu avec l’indifférencié), qui se résout par le repli nationaliste et l’extrémisme religieux à travers lesquels on cherche la pure origine, la bonne chaleur de la totalité. La relation qui unit le F.I.S. et le F.N. est aussi profonde que celle qui existe entre Jean-Marie Le Pen et Saddam Hussein – nationaliste arabe conforme à son image. Dans les trois cas, l’idéologie est primordiale et aboutit à l’anéantissement des objectifs proclamés : l’intégrisme religieux pervertit le message divin, l’expansionnisme national épuise la nation, et la propagande lepéniste contredit directement l’intérêt de la France. En ce qui concerne l’Algérie, nul n’ignore que le F.I.S. est l’ennemi juré de la francophonie, de la présence culturelle française et de la coopération économique avec notre pays. Le national-populisme ? Une anti-politique.

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Article publié dans le numéro 573 de « Royaliste » – 10 février 1992.

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