Menée par les petits-maîtres du Monde, l’offensive contre Jacques Chirac prend une folle tournure depuis qu’Arnaud Montebourg a publié le 31 octobre, dans les colonnes du quotidien précité, son appel à l’assassinat politique du chef de l’Etat.
Il s’agit d’une exécution légale. Le député socialiste invoque l’article 68 de la Constitution, qui dispose que, en cas de haute trahison, le président de la République ne peut être mis en accusation que par les deux Assemblées statuant par une vote identique et à la majorité absolue. Il rappelle que, selon la loi organique, il suffit qu’un dixième des députés votent la mise en accusation devant la Haute Cour pour que la procédure soit enclenchée. Le cheminement juridique est rigoureusement tracé, mais celui qui voudrait l’emprunter avec une petite soixantaine de collègues est atteint de plusieurs types de folies qu’il importe d’examiner.
L’attaque qui vise la personne de Jacques Chirac est une petite folie tactique qui gêne le Parti socialiste et qui pourrait mettre dans l’embarras le Premier ministre si l’opposition se décidait à réagir en tirant parti des scandales qui ternissent depuis plus de dix ans la réputation des moralistes de la gauche.
Plus dangereuse est la folie qui consiste à jeter le doute sur la responsabilité pénale du chef de l’Etat (2), et à contourner le principe de séparation des pouvoirs par la mise en jeu de la notion de haute trahison. Il est peu vraisemblable que ce type d’accusation soit envisagé dans les mois qui viennent par les deux Assemblées, mais Arnaud Montebourg aurait tout intérêt à s’apercevoir au plus vite que sa stratégie ouvre sur deux abîmes :
Un : à force d’entendre parler de haute trahison, de nombreux citoyens pourraient être incités à s’interroger sur la manière de qualifier le viol manifeste de la Constitution lors de la guerre d’agression menée sans autorisation du Parlement contre la Yougoslavie. Il est évident que cette interrogation porterait également sur les responsabilités du Premier ministre, sur la complicité des membres du gouvernement et sur l’attitude de nombreux députés….
Deux : il n’est pas sûr que les accusations actuellement portées contre Jacques Chirac ne puissent être reprises à l’encontre de son éventuel successeur, même si celui-ci à l’apparence d’un homme honnête, porte des lunettes d’intellectuel de gauche et joue au grand moralisateur.
Reste, dans l’appel du député socialiste, le produit d’une bouffée politiquement délirante : la mise en accusation de Jacques Chirac présentée comme un acte solennel au cours duquel « se rejouera une nouvelle fois la mort du Roi ».
Ces mots constituent un aveu : derrière le président de la République, c’est notre monarchie républicaine qu’on veut complètement détruire. De ce point de vue, la référence à Louis XVI est pertinente : en supprimant la personne physique, on voulait en finir avec la symbolique monarchique et royale. Mais ce fut au prix d’un procès inique (la Convention étant juge et partie) qu’eut lieu cette « exécution dans les formes » qui avait saisit d’horreur Emmanuel Kant (2). C’est bien cet attentat contre les droits de l’homme qu’Arnaud Montebourg veut reproduire, puisque, dans son exaltation, il incite les députés à se faire justiciers. Contre les crimes supposés, le déni radical de justice !
En 1793, les Jacobins pouvaient de bonne foi imaginer que ce sacrifice sanglant serait l’acte fondateur de la République républicaine. La Terreur fut la sanction de leur échec institutionnel. En écho lointain et dérisoire à Robespierre, Arnaud Montebourg rêve à la fondation d’une nouvelle République. S’il s’emparait du pouvoir, notre jeune député se heurterait aux mêmes impasses que l’Incorruptible, et exposerait le pays au même déchaînement de violence.
Aussi faut-il souhaiter, pour le bien de l’Etat et de la nation, que l’homme promu par Le Monde agisse selon le rôle qui lui est assigné sur la scène médiatique : celle d’un jeune bourgeois, grandi dans le sérail socialiste, qui se comporte aujourd’hui en provocateur distrayant et peut-être utile, mais qu’on calmera par quelque fonction gratifiante.
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(1) cf. l’éditorial du précédent numéro.
(2) cf. l’ouvrage d’Alexis Philonenko, La mort de Louis XVI, Bartillat, 2000.
Editorial du numéro 759 de « Royaliste – 16 novembre 2000
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