Une partie de l’Europe est marquée par une tendance à la droitisation que la gauche et l’extrême-gauche ne parviennent pas à contrecarrer parce que les nouvelles droites sont à tous égards très différentes de celles du passé.

Si la victoire de la droite tenait aux rodomontades de MM. Sarkozy et Berlusconi il n’y aurait pas grand souci à se faire car les démagogues les plus talentueux finissent toujours par se prendre à leurs propres filets. Mais nous sommes emportés par un mouvement de fond que deux politologues nous permettent de saisir dans un livre (1) qui s’impose comme référence historique et document nécessaire à toute réflexion stratégique.

De fait, la droitisation n’est pas le fruit de hasards malheureux mais l’effet d’une histoire dont Ronald Reagan et Margaret Thatcher furent les premiers héros puisqu’ils parvinrent à imposer à des citoyens souvent réticents ou hostiles ce que nous appelons l’ultralibéralisme. Le paradoxe de cette victoire,c’est que la bataille a d’abord été menée sur le plan des idées, habilement camouflées sous un « pragmatisme » sans cesse invoqué. Les beaux esprits se moquaient de Reagan, qui ne pouvait pas suivre une conversation plus de cinq minutes, et les mêmes méprisent l’inculture de Nicolas Sarkozy. Mais tous deux avaient compris que les idées étaient des armes efficaces pour travailler les esprits et obtenir l’adhésion de populations qui n’étaient pas spontanément acquises à leur parti.

Faute d’avoir compris que l’idéologie était l’enjeu primordial, la gauche classique a perdu sa relative hégémonie culturelle et s’est progressivement ralliée aux thèses qui lui étaient contraires : ainsi Jacques Delors et la deuxième gauche en France, Tony Blair en Grande-Bretagne, Romano Prodi en Italie.

La France a donc été prise dans un vaste mouvement qui a bien entendu pris des formes spécifiques. Des analyses fouillées de Gaël Brustier et Jean-Philippe Huelin, retenons trois éléments majeurs :

Les premiers succès du Front national coïncident avec le tournant de la rigueur mais c’est Jacques Chirac et ses conseillers – Alain Juppé et Edouard Balladur – qui sont les principaux responsables de l’installation du premier lepénisme dans le paysage politique français. Par opportunisme ou par conviction, les dirigeants du RPR ont entrepris à partir de 1981 une « dégaullisation » méthodique de leur discours qui a conduit à un embourgeoisement croissant du parti vainqueur aux élections de 1993 et de 1995. Les ouvriers gaullistes se sont tournés vers le Front national qui a gagné de plus en plus de voix dans le prolétariat relégué dans les périphéries urbaines.

La droite de gouvernement s’est imposée en réussissant un exercice périlleux : présenter comme inéluctable la globalisation et les recettes ultralibérales à un peuple qui les refuse en lui promettant de lui assurer la sécurité et de protéger son identité contre « les immigrés », « les musulmans », « les islamistes » acharnés à détruire « l’Occident chrétien ». Comme on s’en tient aux effets d’annonce face à cet ennemi intérieur, on croit pouvoir bénéficier d’une rente électorale qui ne sera pas détruite par la lutte de classes.

Nicolas Sarkozy a réussi en 2007, grâce au talent d’Henri Guaino, cette formidable entourloupe qu’il voudrait à nouveau faire accepter à son électorat. Mais la sécurité sur la voie publique n’est toujours pas assurée, les immigrés, nécessaires au patronat, ne sont pas renvoyés alors que les intérêts du capitalisme financier, générateur d’insécurité sociale, ont été systématiquement défendus. Il n’est pas sûr que les électeurs de droite se laissent à nouveau abuser. Dans l’opération, la droite française a renié ses valeurs : patrie sacrifiée, morale noyée dans la corruption, religion instrumentalisée. D’où la remontée du Front national qui brandit plus haut que jamais le drapeau tricolore tout en liquidant une partie des thèmes de l’extrême-droite. Or les socialistes et la gauche de la gauche continuent de combattre la droite réactionnaire et le fascisme comme si nous étions en 1930. Etrange et stupide tournoi contre les zombies, qu’il faudrait arrêter au plus vite.

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(1) Gaël Brustier, Jean-Philippe Huelin, Voyage au bout de la droite, Mille et une nuits, 2011.

Article publié dans le numéro 990 de « Royaliste » – 2011.

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