Les médias et le terrorisme

Nov 11, 2002 | Res Publica

PROMOTION DE LA TERREUR

On a proclamé voici un an la guerre contre le terrorisme. Nous en sommes les humbles soldats, placés sur le front journalistique. Comme les combattants de la Grande Guerre, nous ne cèderons pas un pouce de terrain à l’ennemi, nous ne ferons aucune concession à ses complices. N’est-ce pas ce que nous demande le grand état-major médiatique ?

Cependant, la piétaille militante se doit d’avertir les populations menacées que les généraux des médias et les commissaires politiques de l’intelligentsia jettent le trouble dans les esprits et provoquent des désordres dans les ripostes, au risque de compromettre la victoire. Deux exemples :

Le tueur en série de Washington a fasciné les journalistes de toutes les télévisons occidentales, qui donnaient à ce tireur d’élite la priorité sur toutes les autres informations. Comment ne pas comprendre que le retentissement donné aux exploits de ce fou entrait exactement dans le plan d’un homme qui agissait pour se placer au centre du monde, comme maître de la vie et de la mort. Grâce aux médias, sa réussite est grandiose. Elle inspirera d’autres déments.

Il aurait fallu traiter l’affaire pour ce qu’elle est : un fait divers, à évoquer en quelques secondes. Les grands professionnels répondront, selon la formule consacrée, qu’ils n’avaient « pas le choix » car la loi de l’information est ainsi faite. En ce cas, qu’ils reconnaissent publiquement leur propre responsabilité dans la tuerie et dans ses effets paniques.

La prise d’otages de moscovites par des terroristes tchétchènes a été portée, comme l’attentat de Bali, sur le devant de la scène mondiale de manière toute aussi irresponsables et encore plus dangereuse. Nul n’ignore que les terroristes sont des gens intelligents et cultivés qui tuent des victimes innocentes pour donner de la publicité à leur cause et pour ruiner la légitimité de l’Etat qu’ils combattent. Comme l’an passé à New York, la promotion médiatique des attentats perpétrés à Bali et à Moscou a pleinement répondu aux espoirs des criminels et encourage d’autres extrémistes à devenir les martyrs de leur cause. Comme l’écrit Régis Debray (1) « la promo du barbare, son tremplin et sa niche, c’est notre culture elle-même ». Lutter contre le terrorisme, pour les militants que nous sommes, cela signifie qu’il faut refuser ce mélange de religiosité maladive, de moralisme et de voyeurisme qui accompagne la diffusion des images sanglantes.

Après les attentats du 11 septembre, au risque de passer pour des sans cœurs, nous avions mis en garde contre la compassion imposée par les médias (2). Chacun peut aujourd’hui constater que le moralisme a permis à George W. Bush de se poser en victime, autorisée à répliquer à la violence par le bombardement de populations civiles et par des exécutions sommaires de combattants – sans que ces crimes de guerre ne suscitent l’émoi de la gent médiatique.

La compassion serait-elle à éclipse ? Alors que le terrorisme tchétchène est un mélange effrayant de nationalisme, de fanatisme religieux et de banditisme, le commentaire dominant tint en trois points : explication très compréhensive de la prise d’otage, condamnation de Vladimir Poutine, critique implacable des méthodes utilisées pour sauver le maximum de vies. Non, nous n’étions pas « tous des Russes ». Non,les troupes d’élites et les policiers russes n’étaient pas héroïques comme le furent les pompiers de New-York et les commandos américains en Afghanistan. Et quel mépris pour le peuple russe présenté, entre autres clichés, comme « fataliste » ! Enfin, le message de solidarité adressé par le président de la République française au président Poutine, auquel nous souscrivons, fut évoqué en quelques secondes. Voilà qui favorise, de manière plus ou moins consciente, l’extrême violence.

Conclusion ? Quant à la Russie, la promotion médiatique de la terreur se double d’une promotion politique organisée par de prétendus moralistes qui devraient, au moins, assumer leurs responsabilités. Est-ce bien la juste guerre contre le terrorisme qu’on nous demande de mener ou vise-t-on, à travers elle, d’autres finalités ?

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(1) La scène terroriste, Les Cahiers de Médiologie n° 13. Gallimard, 2002.

(2) « Faut-il compatir ? » Royaliste n° 778, 1-14 octobre 2001.

(3) Sur la guerre civile en Tchétchènie, cf. dans Le Figaro les analyses de Jacques Sapir (26 octobre) et d’Hélène Carrère d’Encausse (29 octobre).

 

 

Article publié dans le numéro 803 de « Royaliste » – 2002

 

 

 

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