Personne n’avait vu venir le mouvement d’opposition à la loi sur le mariage entre personnes de même sexe et ce néo-conservatisme reste aujourd’hui méconnu. Gaël Brustier (1) remonte à son origine, explique sa nature et tente d’apprécier la manière dont il peut influencer la droite française.

L’automne 2012 fut celui des surprises. Des socialistes maîtres de l’Elysée, de Matignon et du Parlement, on attendait une action économique et sociale déterminée sinon déterminante, et ils lancent l’offensive sur le terrain sociétal, avec la loi Taubira ! Les stratèges de la gauche s’attendaient à une victoire aussi rapide qu’éclatante or ils provoquent des manifestations de masses et une interminable guérilla parlementaire pendant laquelle le mouvement gagne en cohérence. Ils croyaient affronter la Réaction catho-intégristo-maurrassienne mais ils ne voient toujours pas – sauf ceux qui ont lu et compris Gaël Brustier – que la Manif pour tous fut un mouvement social de type nouveau qui n’eut pas la loi Taubira pour point de départ.

A l’origine de la Manif pour tous, il y a le débat au sein de l’Union européenne sur les « racines » chrétiennes de l’Europe, qui permet aux Eglises – surtout l’Eglise catholique – d’intervenir à nouveau dans un débat public et d’y affirmer leur présence culturelle. Cette présence est bien accueillie par de larges fractions de l’opinion qui reconnaissent au religieux une fonction identitaire et mémorielle. La question majeure de l’identité, génératrice d’angoisses, est alors bien repérée par Nicolas Sarkozy – du moins par ses conseillers. Le futur vainqueur exalte dans sa campagne de 2007 l’autorité, le travail et  l’identité de la France contre l’immigration et le communautarisme, avant d’appliquer un programme atlantiste et ultralibéral. Ce discours identitaire, qui a séduit une fraction de l’électorat lepéniste et toute la droite conservatrice, a eu de fortes incidences sur le mouvement qui s’affirme à l’automne 2012. D’autres facteurs tiennent au catholicisme : les messages de Jean-Paul II, le mouvement charismatique, l’opposition militante à la théorie du genre et les appels à manifester de la hiérarchie catholique qui dénonce dans la loi Taubira un « refus de la différence comme mode d’identification humaine » et qui se place ainsi dans le champ culturel.

Les stratèges socialistes n’ont rien vu venir et ne comprennent pas la nature du mouvement de masse qui se déroule sous leurs yeux. Ayant abdiqué toute volonté de révolution sociale, une partie de la gauche se réconforte avec le projet d’une révolution des mœurs. Peu ou prou, elle adhère à la thèse de Didier Eribon affirmant que « La revendication du mariage, souvent présentée comme réactionnaire, est en fait plus subversive que le discours de la subversion. Elle a un effet de déstabilisation de l’ordre familial, sexuel, du genre, beaucoup plus fort que la subversion incantatoire ».

A l’Elysée, à Matignon, au Parti socialiste, il n’y a pas un conseiller capable de comprendre les évolutions du monde catholique et de la société française. On croit aux sondages, qui disent que les sympathisants des homosexuels sont plus nombreux que les messalisants. On oublie que l’Ouest, de sensibilité catholique, a basculé à gauche. Et quand la Manif pour tous envahit les rues, les réactions analysées par Gaël Brustier sont stupides. On minimise bêtement l’ampleur des manifestations, on croit assister aux défilés de la « France moisie », intégriste et maurrassienne, alors que le mouvement Civitas et l’Action française sont marginaux et marginalisés. On ne prête pas attention aux symboles – le rose et le bleu, non le cœur chouan – et aux slogans. On ne veut pas voir que la Manif pour tous est dirigée par des citoyens intelligents et cultivés qui comprennent la société française infiniment mieux que les sondeurs et les communicants. « Le comble, souligne Gaël Brustier, aura été de voir le président de la République évoquer une supposée clause de conscience des maires pour se dédire dans la foulée et, finalement, faire l’impasse sur le dialogue que sa fonction et sa position lui réclamaient de conduire avec les catholiques d’ouverture ».

La loi a été adoptée mais la gauche a subi une lourde défaite dans la lutte pour la domination culturelle. Elle n’a pas su expliquer et faire admettre son projet ; pire, elle est incapable de dire ce qu’il en est de la France et des Français en notre siècle. Cette incapacité laisse le champ libre au Front national et aux tendances néo-conservatrices. Après avoir présenté les personnes et les groupes qui ont assuré le succès de la Manif pour tous, Gaël Brustier observe leurs parcours et leurs stratégies : rôle crucial de Tugdual Derville, regard des Veilleurs sur la crise, création de Sens commun au sein de l’UMP, stratégie de La Droite forte qui veut dépasser le capitalisme financier et le socialisme… Gaël Brustier s’intéresse plus particulièrement à Laurent Wauquier, qui a pris en compte l’héritage de la Manif pour tous et à Marion Maréchal-Le Pen qui semble vouloir créer un courant conservateur au sein du Front national.

Ces itinéraires et ces prises de position sont reliés au mouvement de fond qui a vu triompher un temps Margaret Thatcher, Silvio Berlusconi, Nicolas Sarkozy et Angela Merkel qui ont tous quatre affirmé vouloir défendre l’identité nationale et le marché. Ce qui ne va pas sans contradictions et échecs, dont les tendances les plus politiques du néo-conservatisme français sont menacées. Mais l’effondrement intellectuel et politique du Parti socialiste leur ouvre de vastes perspectives.

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(1) Gaël Brustier, Le Mai 68 conservateur, Que restera-t-il de la Manif pour tous ?, Cerf, 2014.

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