Directeur pénitentiaire et syndicaliste, Jean-Michel Dejenne nous avait accordé voici dix ans un entretien que l’on retrouvera sur le site “Archives royalistes” (Royaliste, numéro 1080, 2-15 juin 2015). Nous le remercions d’avoir accepté de faire à nouveau le point sur la politique pénitentiaire.
Royaliste : Pourriez-vous évoquer l’actuel dispositif pénitentiaire actuel, qui est souvent mal connu ?
Jean-Michel Dejenne : En effet ! De nombreux citoyens croient que notre administration est rattachée au ministère de l’Intérieur. Or l’administration pénitentiaire est l’une des cinq directions du ministère de la Justice, auquel elle a été rattachée en 1911. Le personnel de cette administration est en très forte augmentation : on dénombre 44 000 fonctionnaires, 10 000 de plus qu’il y a dix ans, dont 31 000 personnels de surveillance et 5 000 personnels de probation, plus du personnel administratif et technique. L’ensemble du personnel est soumis à un statut spécial, qui concerne notamment l’interdiction du droit de grève. Tous les personnels sont formés à Agen par l’École nationale de l’administration pénitentiaire. C’est un cas assez rare car l’administration forme souvent ses personnels par catégorie ou par type de métier. Quant au budget, il a été augmenté de façon ininterrompue depuis une vingtaine d’années, ce qui mérite d’être souligné.
L’administration pénitentiaire compte 186 établissements. Ces prisons sont la part la plus visible. Moins connus, les 103 Services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP). A l’intérieur des prisons, ces services préparent les aménagements de peine et les sorties ; à l’extérieur, ils assurent l’exécution des peines en milieu ouvert. Le SPIP a vu son rôle s’accroître au fil des dix dernières années : on compte aujourd’hui 81 000 personnes en milieu fermé (un record !) et 180 000 personnes suivies à l’extérieur par l’administration pénitentiaire. Nous disposons également d’un hôpital-prison à Fresnes pour les détenus en hospitalisation longue. Deux nouveautés sont à signaler : l’Agence du travail d’intérêt général et de l’insertion professionnelle ; le Service national du renseignement pénitentiaire qui regroupe un millier de personnes ayant leur propre hiérarchie et qui, après des débuts difficiles, est pleinement reconnu dans le monde du renseignement.
Royaliste : Pour bien comprendre notre système pénitentiaire, il faut aussi préciser qu’il y a deux catégories d’établissements…
Jean-Michel Dejenne : Les établissements les plus nombreux sont les maisons d’arrêt où se trouvent toutes les personnes en attente de jugement définitif – donc tous ceux qui attendent le résultat d’une procédure d’appel ou d’un pourvoi en cassation. Cette attente, qui peut durer plusieurs mois ou plusieurs années, explique la surpopulation dans les maisons d’arrêt. Presque tous les problèmes de l’administration pénitentiaire se trouvent dans les maisons d’arrêt, en raison de cette surpopulation endémique.
Après le jugement définitif, le condamné est placé dans une prison pour peine, catégorie créée lors de la Révolution française qui remplace les châtiments corporels par la privation de liberté – alors qu’auparavant, l’emprisonnement était décidé sous des motifs très divers.
Le système des maisons d’arrêt s’est beaucoup diversifié. Avant 1958, il y avait les maisons centrales où l’on plaçait tous les condamnés alors que nous avons aujourd’hui cinq catégories. On a créé la semi-liberté en 1958 : les détenus en courte peine ou en fin de longue peine sortent pendant la journée pour se former ou se soigner. En 1975, on a créé les centres de détention qui sont maintenant les plus nombreux : ils accueillent les détenus qui ont un pronostic favorable de réinsertion. Depuis cinq ans, on a créé deux nouveaux établissements pour peine. Les structures d’accompagnement à la sortie sont destinées aux détenus qui n’ont pas ou peu de relations sociales et qui reçoivent beaucoup d’intervenants Eric Dupont-Moretti a estimé que ces structures étaient trop légères et à fait rajouter des barreaux aux fenêtres, ce qui a coûté très cher. Il y a aussi des structures de réinsertion et de professionnalisation par l’emploi qui concernent des détenus qui ont trouvé un emploi mais sont encore agressifs ou soumis à des addictions. Enfin, les maisons centrales reçoivent les détenus les plus dangereux et les plus difficiles.
J’ajoute que, dans chaque prison, il y a une école, avec des enseignants à temps plein et des vacataires.
Royaliste : Que pensez-vous des “narco-prisons” ?
Jean-Michel Dejenne : Quand Gérald Darmanin déclare que les détenus seront affectés à des prisons selon leur dangerosité, il oublie que c’est le cas depuis cinquante ans ! C’est en 1975 qu’on a créé les Quartiers de sécurité renforcée qui ont été appelés Quartiers de haute sécurité (QHS) qui permettaient de montrer l’absence de laxisme judiciaire. Aujourd’hui, les annonces du Garde des Sceaux sur les prisons réservées aux narcotrafiquants ressemblent beaucoup aux annonces sur les QSR-QHS et l’on entend le même ministre déclarer qu’on va beaucoup augmenter le nombre de places en semi-liberté, dans le souci d’équilibre qu’on observait déjà en 1975. Simplement, cette année, c’est la politique répressive qu’on veut compenser par des mesures d’aménagement alors que naguère c’était l’inverse.
Royaliste : Comment les prisons sont-elles gérées ?
Jean-Michel Dejenne : La gestion est assurée par l’État et il y a une gestion déléguée, semi-privée : des entreprises privées assurent “l’hôtellerie” – les repas, le linge, l’emploi à l’intérieur de l’établissement des détenus qui assurent le service général, c’est-à-dire la confection des repas et le nettoyage. Le prix de journée est fixé par l’État. L’inspiration est clairement néolibérale mais le Conseil constitutionnel a annulé une partie de la loi votée en 1987 et a garanti que la garde des détenus, le greffe (la gestion du dossier pénal) et la direction des établissements ne pouvaient pas être confiées au secteur privé.
Ce système semi-privé a permis la création de 27 prisons entre 1988 et 1992 et, par conséquent, l’amélioration des conditions de détention. On est passé de la gestion déléguée au partenariat public-privé : l’État n’est pas propriétaire de ses murs, il est en location avec option d’achat pour 13 établissements – qui ont d’ailleurs mal vieilli comme toutes les prisons neuves et bien d’autres bâtiments construits à la fin du siècle dernier. La gestion privée coûte plus cher que la gestion publique. Il existe un système de pénalités qui joue dans les deux sens mais c’est souvent l’État qui paye car la surpopulation implique un prix de journée plus élevé, ce qui profite aux gestionnaires privés qui bénéficient d’une rentabilité de 4% sur une longue période. Mais est-il normal qu’on fasse des affaires sur l’emprisonnement ?
Royaliste : Comment l’administration pénitentiaire a-t-elle vécu la pandémie ?
Jean-Michel Dejenne : Le confinement a entraîné la sortie [la baisse] de 12 000 détenus – sur 70 000 – dont 6 000 sorties anticipées en trois mois. Comme la délinquance a décru pendant cette période, il y a eu moins d’entrées dans les prisons et le “déficit” d’entrées a été estimé à 6 000 personnes. Nous avons donc travaillé dans des conditions normales – à 100% d’occupation – ce qui n’est jamais le cas. La violence a diminué dans les établissements car les surveillants ont pu mieux s’occuper des détenus. N’oublions pas que ceux-ci étaient privés de parloir, ce qui est sans précédent.
Royaliste : Aujourd’hui, qui est en prison ?
Jean-Michel Dejenne : Des hommes, en grande majorité ! Les femmes représentent entre 3 et 5% des détenus. Elles commettent moins d’actes de violences dans la vie quotidienne, elles sont moins punies que les hommes car beaucoup ont des enfants et accomplissent leur peine en milieu ouvert. Mais les détenues sont mal loties : il n’y a en France qu’une seule prison pour femmes, à Rennes. Dans les maisons d’arrêt, les femmes ont moins d’accès aux activités et elles sont emprisonnées plus loin de leur résidence habituelle que les hommes car il y a peu de quartiers pour femmes dans les prisons.
Quant aux mineurs, les chiffres sont relativement stables : 800 mineurs détenus, soit 1% des détenus mais vous savez que la délinquance des mineurs devient de plus en plus violente. L’Aide sociale à l’enfance et la Protection judiciaire de la jeunesse sont mobilisées mais leur prise en charge est très difficile et nous inquiète car ils sortent difficilement de la logique délictueuse et ont un déficit d’empathie très élevé. Les peines pour les mineurs sont moitié moins fortes que pour les adultes, ce qui fait qu’ils sont beaucoup utilisés par les réseaux criminels.
Il faut aussi évoquer les auteurs d’infractions à caractère sexuel (AICS) qui sont toujours très nombreux dans les prisons et dont l’administration pénitentiaire s’occupe moins qu’au début des années 2 000 parce que la priorité est passée aux auteurs de violences contre les femmes. Il y a eu une très forte augmentation des condamnations et des emprisonnements pour les hommes violents qui font l’objet de mesures d’éloignement de leur domicile quand ils sont pris en charge par notre administration en milieu dit ouvert.
Royaliste : Qu’en est-il des personnes souffrant de déséquilibres psychiques ?
Jean-Michel Dejenne : Ces déséquilibres plus ou moins accentués concernent 30% des détenus. Depuis 25 ans, j’entends dire que ces personnes ne devraient pas être en prison et que nous ne sommes pas formés pour traiter les cas psychiatriques. Cependant, nous avons acquis au fil des années une solide expérience et nous savons nous occuper de ces personnes. Mais nous avons un déficit de personnels médicaux. Il y a dans chaque prison un hôpital mais nous avons de plus en plus de mal à faire venir les médecins et les infirmiers parce que les prisons ne sont pas attractives pour ces professionnels.
Autre problème : longtemps, l’abolition du discernement était invoquée pour dispenser les “fous” de prison, mais depuis trente ans le concept d’altération du discernement permet d’envoyer des criminels déséquilibrés en détention. Les détenus de cette catégorie augmentent d’autant plus qu’on ferme des lits d’hôpitaux en psychiatrie.
Royaliste : Il y a dix ans, vous disiez que l’administration ne savait pas comment traiter les détenus radicalisés.
Jean-Michel Dejenne : Nous avons créé des quartiers d’évaluation de la radicalisation pour les auteurs d’actes terroristes et pour des propos relevant de l’apologie du terrorisme. De nombreux intervenants travaillent dans les quartiers de prise en charge de la radicalisation (600 personnes y sont actuellement détenues) et les personnes qui sont sorties de prison (un millier) sont suivies par la pénitentiaire et nous n’avons pas observé de récidive.
Propos recueillis par Bertrand Renouvin et publiés dans le numéro 1297 de « Royaliste » – 22 mars 2025
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