Lettre d’Atar – Chronique 206

Fév 28, 2024 | Chemins et distances

 

 

Le soleil se couche lorsque nous arrivons à l’auberge dont une amie m’a souvent parlé, à deux ou trois kilomètres du centre d’Atar. Nicole nous accueille dans le jardin et nous montre les cases, simples et joliment aménagées, où nous allons passer deux nuits. Après une carrière de magistrat en Normandie, notre hôtesse a décidé de s’installer en Mauritanie et d’y créer sa propre entreprise. L’auberge est le fruit d’un travail acharné, accompli avec une jeune femme du pays, Aïcha, qui a pris depuis deux ans la direction de l’affaire.

Mince dans sa robe noire et toujours énergique, Nicole nous annonce qu’elle va rentrer en France pour tourner définitivement la page. Il lui est difficile de quitter ce qu’elle a construit, non sans des difficultés qui tenait à son statut de femme et d’étrangère. Elle a su se faire respecter par les autorités civiles et religieuses – elle a d’ailleurs été intégrée à une tribu – et parcouru avec bonheur le pays à dos de chameau, après y être arrivée en 4L en traversant, seule, l’Espagne et le Maroc. Son évocation du peuple mauritanien est chaleureuse et lucide dans sa description d’une “société matriarcale” en proie à des violences – infanticides, prostitution, pédophilie – qui me rappellent la Normandie de ma jeunesse, telle que je le voyais à travers les récits de ma mère, juge des enfants à Evreux.

Après un petit déjeuner aussi savoureux que le dîner de la veille, nous sommes reçus par l’aimable directeur du musée d’Atar qui nous fait découvrir ses collections d’armes et d’objets du quotidien. Les époques précoloniales et coloniales se côtoient dans un même souci d’évocation équilibrée du passé. Cette manière d’assumer l’histoire n’est pas unanimement partagée. Je me souviens, à la fin du siècle dernier, des murs de plusieurs salles du musée national de Tirana, qui disaient dans leur nudité que de larges fragments d’histoire avaient été arrachés, comme si l’on pouvait effacer dans les mémoires les traces du passé.

Nous nous promenons ensuite dans la vieille ville, aux rues étroites et aux maisons de pierre largement effondrées qui datent de deux ou trois siècles, sans croiser d’autres visiteurs. Ce calme inciterait à la sérénité, si les ruelles parsemées de détritus et les restes de façades promises à d’ultimes effondrement ne laissaient pas une impression d’abandon. Autrefois prospère, Atar s’était modernisée pendant la colonisation, à la suite de l’installation d’une importante garnison française. Le développement de Nouakchott, après l’indépendance, a entraîné la marginalisation de la ville qui bénéficie cependant d’un aéroport international.

A déambuler dans les rues sablonneuses, nous avons perdu le sens de l’heure et je n’ai nulle envie de regarder ma montre. Il faut se laisser porter par le mouvement, en l’occurrence par la Toyota qui nous emmène vers un désert de sable parsemé de buissons d’épineux. Avec mon litham soigneusement noué sur ma tête, je pourrais me prendre pour un aventurier. Pour éviter de se raconter des histoires, il faut des lectures préventives. Avant de partir, j’ai lu le premier et le plus célèbre livre d’Odette du Puigaudeau, Pieds nus à travers la Mauritanie, qui raconte comment deux françaises, Odette et son amie Marion Sénones, sont montées en 1933 à bord d’un bateau de pêche breton et ont débarqué, vingt jours plus tard, sur la côte de Mauritanie. Le pays était alors très dangereux, en raison de la fréquence des rezzous. Ce qui n’a pas empêché Odette et Marion de parcourir des milliers de kilomètres à dos de chameau, en compagnie des caravaniers et de chefs de tribus. Le voyage que nous effectuons dans une région très surveillée par la gendarmerie – il faut souvent donner une photocopie de son passeport, la “fiche” -, avec des téléphones portables, des étapes confortables et des aéroports qui peuvent assurer un rapide rapatriement en cas d’accident, n’est en rien comparable aux aventures admirablement racontées par Odette du Puigaudeau.

Ce matin, ce ne sont pas des chameaux qui baraquent mais la Toyota qui nous dépose près du large lit d’un oued, peu avant la palmeraie d’Azougui. Nous le traversons, bien entendu à pied sec, pour grimper à flanc de colline, passant de roche en roche jusqu’au moment où nous parvenons à un imposant bloc noir sur lequel on découvre des gravures rupestres qui représentent des animaux, des oiseaux et peut-être un chasseur. Nous repartons pour rejoindre un désert de pierre et nous quittons la route terreuse pour prendre à notre bord un homme qui a préparé un déjeuner. Durs cahots, sur ce qui semble ne pas être une piste mais Cheikh connaît son chemin et nous nous arrêtons sur une longue bande sableuse, à l’ombre d’un acacia. Très vite, le feu est allumé pour le thé puis j’apprends à manger sans fourchette : deux doigts dans le plat pour prendre le riz, qu’on place dans la paume de sa main pour le rouler  en boule afin d’avaler quelque chose de consistant. On picore des tranches de tomate en regardant les chameaux arracher les branches d’épineux. Passe le chamelier, qui boit le thé et emporte le pain que nous lui offrons avec le reste, abondant, de notre repas. Les heures passent, dans la contemplation du paysage qui parfois s’anime au pas lent des chameaux. Après tout, pourquoi ne pas rester là ?

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