Lettre de Nouakchott – Chronique 204

Fév 26, 2024 | Chemins et distances

 

 

L’avion s’est posé sur la piste de Nouakchott, tard dans la nuit tiède. Il a fallu faire une heure de queue pour obtenir un visa, puis discuter avec les derniers chauffeurs de taxi ou supposés tels, en choisir un qui prétend connaître l’adresse de l’hôtel mais qui se fait guider par une autre voiture. Après une lente progression sur une route déserte puis sur des avenues peu fréquentées, nous parvenons à l’adresse indiquée. Il est cinq heures du matin quand s’ouvre la porte d’une chambre tranquille et confortable.

Le petit déjeuner dans le jardin prolonge cette impression de paix, après les menus tracas de la nuit. L’avenue devant l’hôtel est maintenant animée. Voitures, poussière, hommes vêtus de blanc et femmes voilées traversent au péril de leur vie car le code de la route, ici comme à Niamey, est interprété par les conducteurs de manière inventive et parfois audacieuse.

Voici Cheikh, guide de très haute réputation pressenti par une amie parisienne qui a pu apprécier voici un an ses services. Nous partons dans sa voiture vers la mer. Pour atteindre la plage, il faut prendre des rues de terre qui relient des maisons de toutes tailles, dispersées ou en petits blocs sans qu’on puisse discerner la structure d’un quartier. Il y a des demeures qui laissent deviner une bourgeoisie aisée et tout à côté des habitations sommaires devant lesquelles stationnent des véhicules hors d’âge.

Nouakchott a poussé brusquement, à partir de 1960, année de l’indépendance. Les circonstances politiques expliquent le développement peu ordonné de la ville. Après la déposition en 1978 du premier président du pays, Mokhtar Ould Daddah, plusieurs chefs d’Etat se succèdent à la suite de coups d’Etat qui s’opèrent sur fond de conflits – avec le Front Polisario en 1977-1978, avec le Sénégal en 1989-1992 puis avec les djihadistes entre 2005 et 2011. La Mauritanie retrouve progressivement la paix civile, grâce à une impitoyable répression du djihadisme, sous l’égide du général Mohamed Ould Abdel Aziz (2008-2019) puis de Mohamed Ould Ghazouani. Les amateurs de simplifications sur l’islam pourront méditer sur cet apparent paradoxe : c’est un Etat qui se déclare officiellement République islamique qui a réussi à juguler la subversion djihadiste.

Nous sommes loin de ces tumultes. Sous une vaste tente qui laisse passer le vent de la mer, nous prenons un pain de singe avant de partager un poisson frais pêché. Des heures lentes et douces s’écoulent au bruit des vagues tandis que des cavaliers passent sur la plage. Cheikh les rejoint pour une brève promenade au trot. J’admire le cavalier, mais de loin, sans bouger de ma tente : les chevaux, que ma mère m’a forcé à monter quand j’avais quatorze ans, dans un manège tenu par une Anglaise colérique, m’ont laissé un souvenir qui, sans être cuisant, n’en fut pas moins désagréable.

Nous quittons la plage dans la douceur de cette fin d’après-midi pour rejoindre un quartier paisible de la ville. Nous sommes attendus par les autorités d’une confrérie religieuse de très haute réputation : la Zawiya Cheikh Sidi El Mokhtar El Kinty. Devant la porte, se tiennent deux hommes vêtus d’impeccables tenues bleues finement brodées. Le plus âgé, très souriant, nous prie d’attendre quelques instants et nous présente son fils qui est économiste et travaille dans un bureau du port. Tandis que nous devisons, un couple très âgé s’approche. La femme s’informe en arabe sur la confrérie et demande une bénédiction. Tous deux la reçoivent de notre hôte qui place ses paumes sur le front de la femme et les retire, toujours jointes, pour envoyer un léger souffle vers son visage. Je retrouve l’islam populaire que j’avais rencontré en Bosnie yougoslave et sur les routes de Turquie, bien avant Erdogan, au Maroc et en Tunisie puis au Tadjikistan. En pays sunnite comme chez les chiites ismaéliens, la foi s’exprime en gestes simples et fervents, en légers rituels des bords de route parfois mêlés de croyances préislamiques – ici on embrasse une pierre, là on boit l’eau d’une source sacrée – conclus par une brève action de grâce.

Peu après le départ du couple, le secrétaire général nous rejoint. Ce septuagénaire au visage empreint d’une douce intellectualité nous conduit dans une vaste demeure où l’une des pièces est une musée. Armes anciennes et fusils de l’armée française, équipements de caravaniers et deux tableaux qui représentent un combat entre les soldats français et les guerriers mauritaniens. Il n’y a là rien d’accusatoire mais l’évocation naïvement stylisée d’un passé révolu qu’il n’y a pas lieu de commenter. Après avoir visité la bibliothèque, riche d’anciens parchemins, Nous rejoignons ensuite le secrétaire général dans une belle salle de réunion. A la présentation de la confrérie, qui rayonne dans de nombreux pays, je réponds en évoquant mes trop brèves rencontres avec le soufisme et le souvenir que j’ai gardé de la Naqshbandiyya à Boukhara et de la Tijaniya au Niger. Nous nous quittons dans la sérénité qu’inspirent les lieux et les êtres.

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N.B. L’inquisition politique qui durcit aujourd’hui les basses intrigues universitaires et diverses stratégies professionnelles m’empêche de citer les personnes qui ont inspiré et accompagné de diverses manières ce voyage en Mauritanie tout comme celles que j’ai rencontrées lors de mon périple dans l’Adrar. J’espère pouvoir les évoquer lorsqu’on cessera de monter des dossiers et de lancer des rumeurs diffamatoires.

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