Lettre de Ouadane – Chronique 208

Mar 1, 2024 | Chemins et distances

Nous avons repris la route, moins cahotante que la veille. Hautes roches et dunes se succèdent. Nous roulons sur le sable avant de rejoindre la piste somme toute confortable qui nous mène à Ouadane. La maison d’hôtes offre des chambres confortables et un dîner agréable. Après la soupe de légumes, des galettes de blé noir, bien épaisses, me rappellent les tourtous de ma Corrèze presque natale.

A côté de nous, une famille française de grands voyageurs qui ont sillonné plusieurs pays d’Asie et d’Afrique de l’Ouest. La Mauritanie attire moins de touristes classiques que de voyageurs amoureux des pays qui les accueillent. Ceux qui ont été touchés, d’une manière ou d’une autre, par les rencontres et les paysages, cultivent à leur retour de discrètes nostalgies et maintiennent souvent des liens avec le pays qu’ils ont aimé.

Après une nuit bien fraîche, nous partons à la découverte de la vieille ville, créée sans doute au XIIe siècle. Elle est bâtie à flanc de colline, ce qui permet de saisir d’un coup d’œil ses murailles et le réseau de rues étroites encore clairement dessiné. Voici l’ancienne mosquée, qui fut peu à peu délaissée au profit de la nouvelle, située sur le plateau où est construite la ville moderne.

Comme Chinguetti, Ouadane fut prospère aux grandes époques du commerce transsaharien, quand des caravanes de centaines ou de milliers de chameaux transportaient le sel, l’or, les plumes d’autruche – et convoyaient les esclaves. Au Dahar, Odette du Puigaudeau a vu les esclaves de la saline de la saline de Touidermi : “Dans chaque trou, des noirs, un haillon autour des reins, épuisaient avec des calebasses, des pelles creuses et de vieilles boîtes de conserve la saumure vaseuse qui leur montait au genoux. Les éclaboussures, séchées à mesure par le vent et le soleil, recouvraient leurs corps d’une croûte brillante”. Refusant le tableau misérabiliste, la voyageuse ajoutait que le soir, après s’être baignés dans l’eau du puits, ces hommes “rejoignaient leurs campements la peau luisante, enturbannés et vêtus de chandorah neuves”. Elle ajoutait que les esclaves des salines, comme ceux de la gomme et des palmeraies, “ont des troupeaux personnels et leurs femmes sont chargées de bijoux” (1). L’esclavage avait pourtant été aboli en 1905 par les autorités françaises et il le fut encore après la colonisation…

Après la vieille mosquée, nous montons par les rues étroites bordées de maisons aux portes closes par de larges serrures de bois. Voici la longue rue des Quarante savants qui rappelle que Ouadane, comme Chinguetti, fut une ville de bibliothèques. Cheikh entre dans une cour pour honorer un puissant marabout qui, me dit-il peu après, pouvait trancher avec son couteau un énorme rocher.

Nous marchons longtemps dans le chaud soleil de la matinée finissante, heureux de contempler du haut des murailles les palmiers et la ceinture d’arbres verts qui borde le sable du désert d’où nous sommes venus.

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1/ Odette du Puigaudeau, Pieds nus à travers la Mauritanie, 1933-1934, Phébus, 1992.

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