Repartis de Ouadane en début d’après-midi, nous avons quitté la piste qui conduit à Chinguetti pour suivre un itinéraire sans repères, dans le sable et la pierraille. Le désert semble familier et les cahots moins durs. Nous sommes déjà sur la route du retour et il faudrait pouvoir tout retenir de ce paysage de dunes qui montent vers la falaise, de la courbe que dessine cet arbre sur l’horizon minéral, du vent léger dans ce buisson d’épineux. Mais voici qu’apparaissent les tentes où nous allons passer la nuit. Elles sont habitées par une famille de bergers. Le père est parti à la recherche de brebis égarées et il est possible qu’il reste absent plusieurs jours. La mère et ses trois filles nous accueillent et nous installent sur une couverture tandis que Cheikh prépare le thé en compagnie d’un homme jeune, assez effacé, qui est le mari de l’une des jeunes femmes. Ici, ce sont les femmes qui parlent, rassemblent les chèvres, font les tresses et préparent le henné tout allant de temps à autre surveiller un foyer creusé dans le sable à bonne distance des tentes.
La lumière se fait douce et dorée. Les ombres s’allongent. Je trempe mes lèvres dans une calebasse remplie de lait de chèvre et j’écoute sans rien comprendre les femmes qui bavardent et rient en rejetant leur voile sur l’épaule. Ce voile, qui entoure le visage, marque une distance mais pas une séparation. Les regards sont directs, les voix assurées, les sourires ne sont pas rares et jamais gênés.
Si des sacs en plastique n’étaient pas suspendus aux branches de l’arbre proche des tentes, je pourrais me croire en l’an mil. Cette impression est encore plus forte lorsque, la nuit tombée, nous nous retrouvons sous l’une des tentes pour partager un dîner de chevreau et de semoule. Mais je ne peux plus m’empêcher de voir les téléphones portables puisque les quatre femmes reçoivent régulièrement des appels. Grâce à une batterie solaire, toutes sont constamment reliées au reste du monde, dont elles reçoivent les images sans que leur vie quotidienne en soit apparemment troublée. D’ailleurs, lorsque les jeunes femmes décident d’animer la soirée – on dort peu sous les tentes – les téléphones sont mis de côté et c’est un vieux bidon métallique qui leur sert de tambour pour rythmer les pas de danse que j’esquisse.
Nous nous retirons sous notre tente au milieu de la nuit. Au sol, une natte épaisse. Sur le dos, une grosse couverture. Le vent souffle sur les toiles mal jointes et l’on aperçoit de temps à autre le ciel étoilé. Les heures passent, lentes, entre veille et brefs moments de sommeil. Pas de fatigue, ni d’ennui. Je songe à ma chance – celle d’un homme qui peut, malgré son âge, apprécier chaque minute du temps qui passe sous la tente de bergers mauritaniens, malgré le froid qui pénètre sous la couverture au moindre mouvement.
Au réveil, le désert est nappé d’une brume que le soleil n’a pas encore dissipée. Les verres de thé nous réchauffent autant que la chaleur du foyer. On se quitte avec des sourires, faute des mots qui pourraient exprimer notre reconnaissance à ces femmes qui se préparent aux tâches du jour sur leur domaine sans chemins ni barrières.
Tergit est notre dernière escale. On y accède après avoir franchi une montagne et suivi une piste encaissée qui débouche sur de hauts palmiers autour d’un ruisseau. Nous marchons dans la fraîcheur matinale, regrettant presque le plein été qui nous aurait permis de mieux l’apprécier. Après un thé partagé avec deux voyageurs, nous escaladons les rochers qui nous permettent d’avoir une vue d’ensemble de la palmeraie.
Après avoir déjeuner de riz et de dattes, nous avons repris le chemin qui descend vers la plaine. Dernières étendues de sable couvrant à moitié les falaises, derniers cahots avant la route droite qui conduit à Nouakchott. La famille de Cheikh nous accueille dans sa vaste et confortable demeure pour une soirée reposante avant le vol de nuit vers Casablanca et Paris.
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