Soudain, en fin de campagne, le septennat a surgi du sac à malices d’Emmanuel Macron et sa rivale rétorqua que ce serait une bonne chose à condition qu’il y ait mandat unique.

Cette moitié d’accord entre les deux candidats est venue interrompre un silence de vingt-deux ans. Avant le référendum du 24 septembre 2000, la réduction de la durée du mandat présidentiel était présentée comme une réforme moderne, en phase avec les rythmes de l’époque, qui permettrait d’éviter les cohabitations. Aujourd’hui, Emmanuel Macron reprend le raisonnement que les gaullistes et les royalistes martelaient dans l’indifférence générale : le temps du président de la République n’est pas celui du Premier ministre. Le chef de l’Etat doit être l’homme qui a le souci du long terme alors que le chef du gouvernement doit affronter les épreuves du quotidien.

Nul ne peut dire si le ralliement d’Emmanuel Macron au septennat est le fruit d’une réflexion ou s’il se réduit à un entrechat tactique mais on ne peut créditer le président sortant d’une réelle cohérence politique. La grande leçon gaullienne, c’est que toutes les institutions républicaines – toutes les institutions vouées au service de l’intérêt général – doivent être solidement liées tout en conservant leurs propres capacités d’agir.

Arnaud Teyssier a montré (1) que les pouvoirs dans la Ve République s’inscrivaient dans différentes temporalités : il y a le temps du président de la République, il y a le temps du Gouvernement, celui du Parlement, et il y a la temporalité propre à l’administration. Les fonctionnaires des différents corps ont pour mission d’appliquer dans la vie quotidienne les lois et les règlements qui résultent des décisions prises par le pouvoir politique : la raison politique se traduit par une mise en œuvre de la raison juridique. Cette activité quotidienne – celle du professeur, du diplomate, du militaire – est assurée par des fonctionnaires qui bénéficient d’un statut. Ceux qui exercent les charges de première importance appartiennent, après avoir passé un concours, à un grand corps administratif ou technique.

Ces grands corps se sont formés au cours d’une histoire séculaire ou multiséculaire qui porte à la fois la tradition du métier et les transformations de la fonction. La Cour des Comptes remonte à 1303, les Intendants, ancêtres des préfets, existent depuis 1670, l’Ecole des Ponts et Chaussées est créée en 1747…

L’alliage de solides connaissances, de la mémoire historique et de l’expérience personnelle permettait aux membres de ces corps d’assurer la continuité de l’action publique en toutes circonstances et sous des gouvernements de diverses couleurs. Ces hauts fonctionnaires ont compensé les faiblesses du régime politique, lorsque le système parlementaire s’est dégradé en régime d’Assemblée. Le statut de la fonction publique assurait aux fonctionnaires de tous rangs de fortes garanties contre l’arbitraire et par conséquent une indépendance dans la conception et l’exécution de missions toujours orientées par le service de l’intérêt général. Les citoyens bénéficiaient de la neutralité, de l’impartialité et de l’indépendance que le système de la carrière assurait aux fonctionnaires (2).

C’est cette architecture, déjà mise à mal par le New public management, qu’Emmanuel Macron a décidé de détruire en supprimant les grands corps : le corps diplomatique vient d’être supprimé par décret, suivront le corps préfectoral et les inspections générales qui seront remplacés par un corps unique d’administrateurs d’Etat (3). La thèse officielle est qu’il faut rendre mobilité et souplesse à l’administration par l’organisation de missions courtes conçues dans l’esprit du privé et avec le concours d’acteurs venus du secteur privé – déjà proliférants et nuisibles comme le montre le scandale McKinsey. Les hauts fonctionnaires seront constamment soumis à la pression des gouvernants et des groupes d’intérêt et les citoyens en subiront les conséquences. Les lenteurs, les dérives bureaucratiques et les failles de l’administration ne justifiaient pas une telle destruction. Emmanuel Macron est celui qui nous dit qu’il va restaurer la clef de voûte tout en faisant sauter les piliers de l’édifice. Il y a là un obscur désir de liquidation de l’Etat qui rencontre les vœux de l’oligarchie : que plus rien ne fasse obstacle à la gouvernance des riches.

Le salut pourrait-il venir de la gauche, aux élections législatives ? Certainement pas si Jean-Luc Mélenchon, tout à sa joie d’être arrivé en troisième position le 10 avril, persévère dans son délire plébiscitaire. L’heureux bénéficiaire du vote utile de la gauche a déclaré : “Je demande aux Français de m’élire Premier ministre, d’élire une majorité de députés insoumis” lors de législatives qui seraient “un troisième tour”. Il donne même cette précision hallucinée : “je serai élu par le peuple français au titre de l’article 20”. Le lider maximo envisage donc une cohabitation dans laquelle le Premier ministre, issu du suffrage universel, exercerait pleinement ses pouvoirs face à un président de la République confiné à l’Elysée. Ces propos posent deux problèmes.

Il y a un problème Mélenchon. Le promoteur d’une “VIe République”, politicien couvé par la Ve République qu’il affirme détester, sénateur, protégé par François Mitterrand, ministre de Lionel Jospin, le champion des privatisations, est un drogué de l’élection présidentielle qui veut rejouer la partie aux législatives en inventant une sorte de démocratie plébiscitaire dont il serait l’homme providentiel.

Il y a un problème de droit constitutionnel (4). Le lider maximo abuse le peuple de gauche en lui offrant la possibilité de l’élire à Matignon. L’article 8 de la Constitution établit en son alinéa premier que “Le président de la République nomme le Premier ministre”. Cela signifie que le chef de l’Etat a la possibilité de désigner le Premier ministre, même en période de cohabitation : en cas de victoire d’une coalition de gauche, il pourrait choisir un membre du Parti socialiste ou faire appel à une personnalité non élue (comme naguère Georges Pompidou et Raymond Barre) dès lors que celle-ci serait susceptible d’être soutenue par une majorité de députés lors de la présentation de son programme. Il faudra donc que Jean-Luc Mélenchon cède sur son désir qui, comme celui de ses rivaux, fait désordre.

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(1) Demain la Ve République ? Sous la direction d’Hervé Gaymard et d’Arnaud Teyssier, Perrin, 2022.

(2) Anicet Le Pors, Gérard Aschieri, La fonction publique du XXIe siècle, Les éditions de l’Atelier, 2015.

(3) Cf. Eric Anceau, sur le site de Marianne : « La suppression du corps diplomatique est une faute politique ».

(4) Cf. sur le blog de Jus politicum l’analyse d’Olivier Beaud.

 

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