L’Histoire française en danger

Nov 28, 2011 | Non classé

 

Au siècle dernier, l’Histoire française faisait preuve d’un magnifique dynamisme et nos historiens étaient discutés dans le monde entier. Ce n’est plus vrai.

L’ouvrage de Jean-François Sirinelli (1) fera très mal aux lecteurs qui n’appartiennent pas au milieu scientifique : la plupart n’ont pas vu venir le danger et ignorent les difficultés dans lesquelles se débat la recherche française. Il est vrai que l’amateur d’histoire continue de vire dans son paysage familier, riche d’ouvrages passionnants qui trouvent peu ou prou leur public.

Mais si l’on s’approche des chercheurs, le tableau devient très sombre. Terriblement précis, Jean-François Sirinelli compare le Xème congrès international des sciences historiques, tenu à Rome en 1955, et le XXème congrès qui eut lieu en 2005 à Sydney. Au siècle dernier, la science française rayonne et son avenir semble assuré. Cinquante ans plus tard, « les Français (…) sont moins d’une trentaine et, surtout, les sessions qu’ils animent n’attirent guère d’auditoires fournis, comme si ce faible nombre s’accompagnait de facto d’une sorte de mise ne quarantaine ». Ce n’est pas un effondrement – l’histoire française reste féconde – mais un « déphasage progressif » dont il faut connaître les causes :

D’abord, les nouvelles générations d’historiens étrangers n’apprennent plus notre langue alors que le français est théoriquement à égalité avec l’anglais dans les colloques internationaux. D’aucuns en concluent que les chercheurs français doivent devenir bilingues. Jean-François Sirinelli objecte avec raison que « les œuvres marquantes de l’historiographie française perdraient en force de frappe intellectuelle ce qu’elles gagneraient en force de pénétration dans une sorte de koiné [langue commune] fondée sur une langue anglaise lessivée par des usages trop disparates ». La défense de la francophonie doit s’accompagner d’une politique de la traduction. Mais cela ne suffira pas.

La marginalisation tient aussi aux nouvelles conditions de la production et de la circulation des travaux scientifiques qui dépendent de plus en plus de la « mise en réseau » et du financement des travaux. Or la recherche française est menacée de l’intérieur par la frénésie d’évaluation qui utilise des critères destructeurs : si un livre est l’équivalent d’un ou deux articles, si le nombre de citations est jugé supérieur à la qualité du débat, à quoi bon se lancer dans une publication lourde ? Et comme les postes se font rares, la recherche s’appauvrit et le désert croît.

Qui, parmi les politiques, aura l’intelligence de redonner aux chercheurs les moyens de faire leur œuvre et de la faire connaître ?

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(1) Jean-François Sirinelli, L’Histoire est-elle encore française ? CNRS Editions, 2011.

Article publié dans le numéro 1001 de « Royaliste » – 28 novembre 2011

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