L’étude du pouvoir financier fait apparaître la fameuse crise sous un jour nouveau, et les belles théories des manuels comme autant de contes bleus.
On célébrait autrefois l’entrepreneur capitaliste, et on savait par cœur les conditions de la concurrence pure et parfaite. Nous connaissons aujourd’hui un retour à ces théories libérales agrémenté de quelques formules « modernes ». Le débat tournerait en rond si de jeunes économistes n’avaient pas dévoilé, derrière les descriptions classiques des mécanismes et le choc des doctrines, une toute autre réalité. Pour François Morin (1) comme pour Bertrand Bellon qui vient de publier une remarquable analyse sur « Le pouvoir financier et l’industrie en France » (2), nous vivons, sans nous en rendre compte, dans une économie dominée par les groupes économiques et financiers.
Le phénomène des groupes financiers n’est pas nouveau :« Rothschild » est un vieux mythe, en même temps qu’une solide réalité, et les historiens de l’économie ont établi depuis longtemps le rôle du capitalisme financier depuis un siècle et demi. Mais, comme dirait Giscard, il y a le « changement », la « crise », la « mondialisation », le « redéploiement ». Ce qui est vrai. Pourtant, les bouleversements actuels ne détruisent pas le système capitaliste. La « crise » subie par certains peuples n’est que le signe de l’adaptation et du renforcement du système : en 1978, les profits accumulés aux Etats-Unis ont été supérieurs de 11{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} à ceux enregistrés avant 1974. Dans ce vaste mouvement, les groupes financiers tiennent une place essentielle, d’autant plus qu’ils entretiennent avec le pouvoir politique -qui a présidé à leur ascension- des relations très étroites. Je ne résumerai pas la brillante analyse de Bertrand Bellon, qui lui permet en particulier de dégager le concept d’ensemble financier, illustré par les exemples de Suez et de Paribas. Par la théorie économique, par l’étude historique, par l’analyse des liaisons financières, par la prise en compte d’un « facteur humain » généralement négligé, l’auteur montre le degré de puissance auquel est parvenu, en une vingtaine d’années, le capital financier en France.
Une puissance qui n’est pas synonyme d’efficacité : destructeurs d’équilibres structurels nationaux et internationaux déjà fragiles, les groupes et ensembles financiers sont parmi les principaux responsables de l’inflation et du chômage, ne parviennent pas à résoudre tous les problèmes industriels et font de médiocres performances financières. Ce qui n’empêche pas ces groupes d’être comme des poissons dans l’eau de la société libérale avancée. Comme l’écrit Bertrand Bellon, la bourgeoisie financière « détient effectivement les pouvoirs essentiels dans l’industrie ou dans la banque » ; elle forme un monde étroit et occulte, partagé entre les affaires financières et politiques… Cet adversaire n’est donc pas sans nom, ni sans visage. Il est essentiel de le connaître si on veut en débarrasser l’Etat, et libérer l’économie de groupes capitalistes pesants, dangereux et inutiles.
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(1) François Morin, La structure financière du capitalisme français, Calmann-Lévy.
(2) Bertrand Bellon, Le pouvoir financier et l’industrie en France, Seuil.
Article publié dans le numéro 311 de « Royaliste » – 6 mars 1980
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