« Au banquet de la corruption, l’or vaut plus que la foi ! » (Jacques Brillant). De quoi parlons-nous lorsque nous utilisons le terme de corruption ? Nous faisons référence à la corruption des élites : dirigeants politiques, parlementaires, élus locaux, fonctionnaires y compris juges … La corruption qui mine le contrat social dans un État de droit, une démocratie digne de ce nom, y compris au XXIe siècle. Or, ce fléau ne concerne pas seulement quelques Républiques bananières du Sud, dictatures, démocratures ou autres cleptocraties[1]. Il sévit au cœur de l’État en Occident mais aussi, ce dont on parle moins, au sein de la très moralisatrice Union européenne. Lobbying et pantouflage en sont les deux principaux marqueurs, les deux mamelles. Alors que le Mal court, le Bien recule.
LE MAL COURT : DE LA THÉORIE À LA PRATIQUE
Ce que les mots veulent dire. Comme toujours dans pareille démarche, il est incontournable de savoir ce que les mots tels que corruption, lobbying et pantouflage veulent dire précisément.
La « corruption » est un « délit commis par un particulier qui propose, directement ou indirectement, offres, dons, présents ou avantages pour obtenir d’une autorité publique, d’une personne investie d’une mission de service public ou d’un élu, l’accomplissement ou non d’un acte relevant de ses fonctions ou facilité par elles »[2].
Le « lobbying » ou la « représentation d’intérêts » désigne une activité qui consiste à prendre l’initiative d’entrer en contact avec des personnes chargées d’élaborer et de voter les décisions publiques ou de conduire l’action publique nationale ou locale pour influencer leurs décisions[3].
Le délit dit de « pantouflage » visé à l’article 432-13 du Code pénal n’est qu’une forme du délit de prise illégale d’intérêts par prise ou réception d’une participation par travail, conseil ou capitaux dans une entreprise privée dont un agent public a eu la charge d’assurer la surveillance et le contrôle ou avec laquelle il a été amené à participer, y compris par émission d’avis, à la conclusion de contrats de toute nature[4].
Comment jeter une lumière crue sur les turpitudes de tous ces eurocrates – hommes ou femmes – bien propres sur eux ?
Ce que les maux veulent dire. Dans ce domaine, l’imagination n’a pas de limites. Tout est possible, y compris et surtout le pire. Les délinquants européens en col blanc ne reculent devant rien pour se pousser du col. Les mauvaises pratiques prennent différentes formes. À Bruxelles, Luxembourg, Strasbourg, les cabinets de lobbying font florès. Ils se chiffrent en plusieurs milliers et ont pignon sur rue. Leur rôle est simple : infiltrer les institutions européennes pour faire prévaloir leurs vues au détriment de l’intérêt général européen ; traiter à déjeuner ou à dîners des fonctionnaires européens, voire leur faire de somptueux cadeaux, pour les corrompre ; parfois les rétribuer pour leurs interventions utiles (Cf. les liens incestueux entre la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen et Pfizer) ; les recruter en leur sein lorsque ces fonctionnaires partent à la retraite (Cf. recrutement de l’ex-président de la Commission José Manuel Barroso par une grande banque américaine). Une mécanique parfaitement huilée. Il faut y ajouter les démarches incessantes des diplomates algériens et qataris qui font le siège du Parlement européen pour faire prévaloir leur voix de manière ostensible au détriment de l’intérêt général européen (Cf. pressions inadmissibles des diplomates algériens sur les parlementaires européens pour qu’ils votent contre la résolution appelant à la libération inconditionnelle de Boualem Sansal). Parfois, les médias se réveillent sur quelques cas emblématiques mais point trop n’en faut (la gaffeuse et très hypocrite Nathalie Loiseau aurait quelques accointances avec le laboratoire d’idées « European Council of Foreign Relations » ou EFCR, une organisation liée au milliardaire Georges Soros[5]). L’Union européenne est une véritable passoire ouverte aux quatre vents. Inutile de se bercer d’illusions, le mal court de haut en bas.
On comprend bien que le Machin européen ne se formalise pas trop de ces pratiques qu’il ne condamne et ne sanctionne pas ou peu.
LE BIEN RECULE : DE LA CONSTATATION À LA DÉSINVOLTURE
L’insoupçonnable légèreté de l’être. Adepte de la norme à tout-va, l’Union européenne semble moins regardante lorsqu’il s’agit de sanctionner les errements coupables de ses commissaires, membres du Conseil, parlementaires et fonctionnaires prétendument intègres. La Maison brûle mais elle regarde ailleurs par pudeur de gazelle. Il est impensable que des personnes ayant mis leur idéal européen au-dessus de tout puissent être de vulgaires délinquants. C’est tout simplement impossible ! À la limite, un code de déontologie sans valeur contraignante fera l’affaire. Les gogos seront contents et les coupables seront rassurés.
À consulter les divers sites de l’Union européenne, l’on croit comprendre que chaque organe décide pour ce qui le concerne : le Conseil européen dispose d’un code de conduite pour son président et sa présidente[6] ; les commissaires européens sont soumis à des règles en matière d’éthique et d’intégrité[7] ; les parlementaires européens disposent de leur propre régime (le principe fondateur est que les députés agissent uniquement dans l’intérêt général et conduisent leurs travaux avec désintéressement, intégrité … mais le Parlement européen a refusé à plusieurs reprises l’idée d’interdire à ses élus les activités rémunérées annexes[8]) ; les membres et anciens membres du tribunal et de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE)[9] ; les avocats européens[10] ; les fonctionnaires européens du Parlement disposent d’un guide sur leurs obligations[11] …. Une chatte n’y retrouverait pas ses petits. L’inflation de la norme est reine au sein de l’Union européenne qui va s’attaquer à l’avenir de son budget[12].
Pour autant que nous en soyons informés, n’existe pas de structure centrale forte en charge du respect, voire de la sanction en cas de manquements aux obligations contenues dans un code de déontologie uniformisée pour l’ensemble des personnes travaillant pour le grand bien du Machin européen et des citoyens européens. Pourquoi ? Un millefeuille de normes vaut-il norme globale et applicable à tous et à toutes ? La réponse est dans la question.
Quelle est la conséquence de cette situation sur le crédit de l’Union européenne, largo sensu
Le discrédit sur une institution déjà bien décrédibilisée
« L’avenir n’est pas ce qui va arriver, mais ce que nous allons faire » (Henri Bergson). D’une manière générale, l’Europe a fait preuve de myopie historique dans un mélange d’arrogance et de naïveté[13]. Comment qualifier une institution qui multiplie les réglementations, parfois ubuesques, qui nuisent à son dynamisme économique tout en se révélant, au mieux peu efficaces, au pire carrément contreproductif ?[14] Comment la juger au regard de son incapacité à décider d’orientations stratégiques pour le futur qui plus est lorsqu’elle est confrontée à la tornade Donald Trump ?[15] Le résultat est peu probant tant le mammouth semble difficile à mettre en mouvement pour prendre, avec courage, les décisions qui s’imposent. Le moins que l’on pourrait attendre de cette structure – présentée par les euro-béats comme la solution à tous nos problèmes – serait que ses personnels soient irréprochables en termes de déontologie et d’éthique.
Or, c’est loin d’être le cas, tant de compromis en compromissions avec les règles élémentaires de bonne conduite d’un Serviteur de l’État au sein de chacun des États membres, les institutions européennes évoluent en eaux troubles. Comment, dans ce contexte, faire en sorte que les citoyens européens aient la moindre confiance en ce bidule qui n’a pas su s’adapter aux contraintes d’un élargissement précipité après la fin de la Guerre froide et qui tire sa force de sa procrastination à traiter de sujets sans importance ? Cela semble aussi improbable qu’impossible. Au rythme où vont les choses, il se pourrait que le pire soit devant nous. Derrière l’écran de fumée des promesses, une fois encore les actes ne suivent pas. Les optimistes voudront croire à la vertu des crises qui sont un appel au doute et à la réflexion. Nous ne partageons pas leur enthousiasme à la lumière de l’expérience qui ressemble à un étrange aveuglement européen. N’existerait-il pas un mauvais génie européen qui ressemble à un somnambulisme du nouveau monde ? Il serait grand temps que l’Union européenne apprenne de ses erreurs.
Une comédie tragique
« L’idéaliste a les mains propres, mais n’a pas de mains » (Charles Péguy). Le moins que l’on puisse dire est que l’Union européenne a la main qui tremble lorsqu’elle devrait tancer ses brebis galeuses, voire les sanctionner sévèrement. Mais où sont donc passer ses fameuses valeurs (fausses au demeurant) dont elle se drape quotidiennement. Cette crise est le symptôme d’un phénomène politique plus global, celui d’une inversion des valeurs qui nuit à la crédibilité des « Fédérastes ». Capable de communiquer, incapable d’imaginer des stratégies pour éviter d’en être restreint à un rôle d’un spectateur d’un monde en total bouleversement. N’est-il pas grand temps d’administrer l’antidote de vérité pour dénoncer l’inacceptable ? Alors les masques tombent. Ce dont on ne peut parler, c’est ce qu’il faut dire ! Lobbying et pantouflage sont deux des nombreuses plaies qui fragilisent l’Union européenne.
Jean DASPRY, pseudonyme d’un haut fonctionnaire, Docteur en sciences politiques
Les opinions exprimées ici n’engagent que leur auteur
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[1] Jean-Baptiste Chastand, En Serbie, la contestation contre le président Vucic s’intensifie. Les manifestants anticorruption organisées à Novi Sad et à Nis, samedi 1er février, ont rassemblé des dizaines de milliers de personnes, Le Monde 4 février 2025, p. 6.
[3] https://www.hatvp.fr/lobbying/ .
[4] https://www.agence-francaise-anticorruption.gouv.fr/fr/
[5] Yves-Marie Sévilla, Nathalie Loiseau en guerre pour sauver les démocraties européennes, www.bvoltaire.fr , 4 février 2025.
[6] https://www.consilium.europa.eu/media/45399/code-de-conduite.pdf
[7] https://commission.europa.eu/about/service-standards-and-principles/ethics-and-good-administration/commissioners-and-ethics_fr?prefLang=fr
[8] https://www.europarl.europa.eu/meps/fr/about/meps
[9] https://curia.europa.eu/jcms/jcms/p1_743291/fr/
[10] https://www.lexbase.fr/article-juridique/10396413-le-point-sur-deontologie-des-avocats-europeens-le-role-du-ccbe
[11] https://www.europarl.europa.eu/RegData/PDF/406411_FR.pdf
[12] Virginie Malingre, L’UE se penche sur l’avenir de son budget devenu obsolète, Le Monde, 13 février 2025, p. 17.
[13] Jean-Marie Guéhenno, Le premier XXIe siècle. De la globalisation à l’émiettement du monde, Flammarion, 2021.
[14] Marie Bordet/Géraldine Woessner, Comment l’Europe se tire une balle dans le pied avec sa réglementation masochiste, www.lepoint.fr , 3 février 2025.
[15] Philippe Jacqué/Virginie Malingre, L’unité des Européens à l’épreuve de Donald Trump, Le Monde, 5 février 2025, p. 3.
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