Royaliste : Nous célébrons le 250eme anniversaire de la naissance de Louis-Philippe. Sa personnalité est largement méconnue…

Arnaud Teyssier : Louis-Philippe est un homme attachant qui a vécu une vie romanesque, aventureuse et tragique. Fils du duc d’Orléans, surnommé Philippe-Egalité, Louis-Philippe connaît les grandeurs et les tragédies de la Révolution. Il assiste à l’ouverture des Etats-Généraux. Il voit toutes les capitulations et toutes les erreurs de Louis XVI. Il se distingue sur le champ de bataille, à Valmy et à Jemappes, et on l’appelle le Général Egalité avant qu’il ne soit contraint de s’exiler au moment où la Révolution prend un autre tournant et où son père, malgré toutes ses compromissions dues à une grande faiblesse de caractère, est exécuté. Il aura alors une vie de voyages en Europe, jusqu’en Laponie, et en Amérique – il en tirera un récit plus authentique que celui de Chateaubriand – avant de s’installer en Angleterre. La Restauration amène un changement dans ses perspectives mais il attend plusieurs années avant de rentrer en France car il veut voir comment évolue la monarchie rétablie avec Louis XVIII.

Lorsque Louis-Philippe s’installe au Palais-Royal, il est considéré avec méfiance. On le soupçonne de vouloir reprendre la politique d’intrigues dont son père fut accusé et de s’inscrire dans la tradition frondeuse des Orléans. Il est en effet très apprécié dans les milieux libéraux, il reçoit beaucoup et l’on découvre un homme cultivé, faisant élever ses fils au collège Henri IV afin qu’ils connaissent la société.

Royaliste : On a accusé Louis-Philippe d’avoir comploté en 1830 pour récupérer la couronne…

Arnaud Teyssier : Cette accusation est sans fondement. Le premier responsable de la révolution, c’est Charles X ; le seul coup d’Etat est celui tourné contre la Charte. Louis-Philippe arrive au pouvoir presque à reculons, un peu inquiet quant à la possibilité de tenter à nouveau une expérience de monarchie constitutionnelle. “Nous sommes les derniers rois possibles”, dira-t-il à sa femme, la reine Marie-Amélie. Le deuxième roi des Français va réussir à bâtir une monarchie constitutionnelle dans un contexte de prospérité économique et à poser les premiers éléments de l’État social – ce qu’on appelle à l’époque la “charité légale”, critiquée par Tocqueville. Cette monarchie ne sera pas durable pour des raisons qui tiennent à l’évolution du régime, à la mort de son fils aîné, le duc d’Orléans, qui avait compris les grandes transformations sociales en train de se produire, et au refus obstiné du suffrage universel ou du moins d’étendre le suffrage.

Royaliste : Le roi n’était guère apprécié par les grandes figures intellectuelles de son époque…

Arnaud Teyssier : Louis-Philippe est très maltraité par Chateaubriand, assez mal par Tocqueville, plutôt bien par Victor Hugo qui, dans Choses vues, évoque ce roi qui passait des nuits à trouver des arguments lui permettant de convaincre le Conseil des ministres de gracier des condamnés à mort.

Cette humanité de Louis-Philippe est à souligner de même que l’idée de réparation. Le roi des Français veut réparer la société et trouver une forme d’unité qui puisse entraîner la nation française derrière le drapeau tricolore, avec une histoire pleinement prise en compte. C’est pourquoi Louis-Philippe sauve Versailles en y consacrant une partie de sa fortune pour en faire le musée de l’histoire de France, le symbole d’une nation réconciliée avec toute son histoire, plébiscité par Victor Hugo, Louis Blanc et de très nombreux Français.

Pour terminer ce rapide portrait du roi, j’ajoute que Louis-Philippe avait repéré un jeune espoir de la politique anglaise, Benjamin Disraeli, qu’il a reçu à de nombreuses reprises. Une véritable amitié est née de ces rencontres. En 1856, à un moment de refroidissement des relations franco-britanniques, Disraeli prononce un remarquable discours devant la chambre des Communes au cours duquel il évoque la personnalité de Louis-Philippe, affirme que sous son règne, les libertés publiques avaient atteint un niveau bien supérieur à celui qu’elles connaissaient en Angleterre et conclut que le seul crime de ce grand roi fut « d’avoir refusé de faire tirer sur son peuple ».

Royaliste : Quels enseignements pouvons-nous tirer du règne de Louis-Philippe ?

Arnaud Teyssier : Louis-Philippe tente de faire la synthèse entre une conception libérale de la politique et un certain conservatisme, au meilleur sens du terme. Ce qui est très bien résumé par Guizot écrivant que “Le but de la société n’est pas simple : elle aspire en même temps et nécessairement à l’ordre et à la liberté, à la durée et au progrès”. D’où l’intérêt de la constitution monarchique qui tente de concilier les deux aspirations… Et je ne peux, sur ce point, m’empêcher de penser au général de Gaulle qui a voulu une société ordonnée et la liberté, la durée et le progrès.

C’est cette volonté de concilier l’ordre et la liberté qui retient Louis-Philippe et Guizot d’élargir le suffrage car ils pensent que l’équilibre est difficile à maintenir et que le suffrage universel suppose une maturité politique, une éducation aux libertés et une pratique de la vie politique qui s’acquièrent quand on joue un certain rôle social, quand on participe à la vie collective par un certain niveau de contribution fiscale. D’une certaine manière, les événements de 1848 leur donnent raison : le suffrage universel masculin est établi mais en juin, le rétablissement de l’ordre sera impitoyable – il faut lire sur ces journées sanglantes le témoignage horrifié de Renan.

Royaliste : Qu’en est-il du gouvernement sous la Monarchie de Juillet ?

Arnaud Teyssier : Louis-Philippe est un souverain qui règne et qui participe au gouvernement. En dix-huit ans, il ne laisse pas une seule législature aller jusqu’à son terme. Les élections de 1831, 1834, 1837, 1842, 1846 ont toutes été déterminées par un calendrier décidé par le roi. Louis-Philippe choisit aussi ses chefs de gouvernement avec beaucoup d’habileté, il intervient dans le travail du cabinet et il a un rôle décisif dans la politique étrangère. C’est le roi qui fait le rapprochement avec la reine Victoria et qui empêche la guerre avec l’Angleterre – alors que certains libéraux comme Tocqueville passeraient presque pour des boutefeu. La figure de ce monarque est très proche de la figure présidentielle sous la Ve République…On voit aussi se développer le parlementarisme : c’est sous Louis-Philippe que la Chambre des députés commence à avoir de vrais pouvoirs budgétaires.

Je veux aussi évoquer un thème que j’ai souvent abordé avec vous : pour fonder le pouvoir dans la durée, Louis-Philippe s’appuie sur la Constitution administrative. Telle est la réponse que le grand journaliste Armand Carrel adresse à un interlocuteur qui s’inquiète des faiblesses d’une monarchie reposant sur la branche cadette, si chargée de mauvais souvenirs : “Eh bien ! Nous ferons la monarchie administrative !”. En effet, Louis-Philippe a renforcé et pérennisé l’héritage qui lui avait été légué par le Consulat et l’Empire et qui a permis à notre pays de surmonter bien des crises. Roederer, qui a joué un rôle très important sous le Consulat et l’Empire, et qui est le premier à décrire “la passion française de l’égalité”, est le vrai théoricien de la Monarchie de Juillet. Dans un texte très intéressant, L’adresse d’un constitutionnel aux constitutionnels, il explique que gouverner n’est pas administrer. “Administrer est le fait des ministres, gouverner est le fait du roi et comprend les relations avec les puissances étrangères et le fait d’ajouter aux lois le modèle des vertus publiques et privées”. Cette idée de la dignité du chef de l’Etat se retrouve dans la Ve République.

On voit sous la Monarchie de Juillet une fascination pour le pouvoir exécutif – les souvenirs de Tocqueville sont significatifs à cet égard – qui n’a pas disparu après 1848. Elle demeure aujourd’hui, et contraste avec la référence passionnée des Français à la Révolution française – même si les dirigeants se sont privés des moyens qui permettent de gouverner, ou les utilisent de manière incomplète.

Royaliste : Il y a sous la Monarchie de Juillet une peur du peuple que nous observons aussi de nos jours dans le milieu dirigeant. D’où vient cette peur ?

Arnaud Teyssier : J’ai déjà évoqué l’attachement au suffrage censitaire. Ceux qui ont vécu la Révolution craignent la foule inorganisée, celle qui massacre et qui a peur, elle aussi. On se souvient de l’épidémie de choléra évoquée par Giono, qui montre comment le choléra devient un facteur de destruction sociale. Nous allons garder cette peur de la foule, par la faute du Second Empire qui, à travers le coup d’Etat et l’instrumentalisation du plébiscite, a entretenu la méfiance à l’égard du suffrage universel et tout particulièrement du référendum. Vous savez que l’usage du référendum a été parfaitement maîtrisé par de Gaulle en 1946 et après son retour au pouvoir. Vous savez aussi que le milieu dirigeant a été repris par la peur du référendum et par une forme de peur du peuple.

Par ailleurs, la fascination pour le pouvoir exécutif a provoqué, en réaction, une affirmation de la souveraineté parlementaire sous la IIIe et la IVe République qui a entraîné dans l’opinion publique un rejet du parlementarisme. Malgré le parlementarisme rationalisé de la Ve République et l’équilibre qui avait été trouvé entre le pouvoir exécutif et le Parlement, on voit bien, aujourd’hui, que l’institution parlementaire n’a pas retrouvé le crédit qu’elle devrait avoir et que la Monarchie de Juillet avait entrepris de lui donner.

Royaliste : La société qui se développe sous la Monarchie de Juillet, c’est aussi un rapport passionnel et ambigu à l’argent….

Arnaud Teyssier : C’est un sujet qui n’a pas d’âge ! En lisant Balzac et Victor Hugo, nous voyons s’affirmer le pouvoir de l’argent, qui affaiblit l’œuvre économique et sociale de la Monarchie de Juillet. On voit aussi resurgir le rôle corrupteur de l’argent sous la Ve République, alors que de Gaulle dénonçait “l’infirmité morale du capitalisme” et affirmait la nécessité de la corriger – telle était l’ambition si mal comprise de la politique de Participation. La filiation entre la Monarchie de Juillet et la Ve République tient à une réalité en définitive toute simple : de Gaulle avait identifié tous les paradoxes qui sont au cœur de l’expérience politique française depuis la Révolution, et que le règne de Louis-Philippe a mis à nu. Il pensait qu’une démocratie, c’est une civilisation et pas seulement une organisation des pouvoirs. Il faut tout à la fois une Constitution politique, une Constitution sociale et une Constitution administrative.

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Propos recueillis par Bertrand Renouvin et publiés dans le numéro 1266 de « Royaliste » – 18 novembre 2023

 

 

 

 

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